Courtoisie : Claudy Rivard

Féminisme et laïcité

C’est le 12 avril dernier que l’ex-candidate du Parti québécois dans la circonscription de Trois-Rivières, Djemila Benhabib, était de passage à l’Université Laval. Dans une classe malheureusement trop petite pour accueillir tous les gens désireux d’entendre l’auteur de Ma vie à Contre-Coran, plusieurs militants du Parti québécois et de Génération nationale ainsi que plusieurs citoyens s’étaient réunis pour écouter la femme originaire de Oran, en Algérie. Cette conférence, organisée par le Parti québécois de l’Université Laval, avait pour titre « Féminisme et laïcité ».

Courtoisie : Claudy Rivard
Courtoisie : Claudy Rivard

D’emblée, elle n’a pas manqué de dire un mot sur le sujet de l’heure, soit le rapatriement de la constitution de 1982, qui fait couler beaucoup d’encre. « Avant de me plonger dans le vif du sujet, j’aimerais vous rappeler que les questions constitutionnelles ne sont pas vaines ou accessoires, comme certains aiment le prétendre », dit Mme Benhabib, visant à mots couverts le chef de la Coalition Avenir Québec, M. François Legault et le nouveau chef du PLC, Justin Trudeau, ce qui n’a pas manqué de provoquer un rire général dans la salle.

Mme Benhabib a alors décrit en détail son parcours personnel. Ayant quitté l’Algérie au début des années ‘90 lorsque le Front islamique du salut ( FIS ) était aux portes du pouvoir, elle s’est ensuite exilée en France pendant quelques années. Malheureusement, même en France, les codes familiaux islamiques étaient perceptibles chez les familles algériennes, inspirés par l’entrée au pouvoir du FIS. Ce parti, islamiste radical, avait clairement dit aux citoyens qu’à son entrée au pouvoir, la démocratie serait chose du passé. C’est en 1997, déçue par la France, que Mme Benhabib a décidé de faire sa valise pour le Québec. Forte d’un impressionnant dossier académique, elle obtient une bourse de l’INRS pour préparer une maîtrise en physique, ce qui lui permet de décrocher un statut de réfugiée au Canada. « J’ai choisi le Québec pour son fait francophone, l’épanouissement de ses femmes et sa qualité de vie », déclare Mme Benhabib, qui insiste pour faire l’éloge du Québec.

« J’ai choisi le Québec, mais je l’ai choisi comme pays »

Si Mme Benhabib a choisi le Québec, elle précise qu’elle l’a surtout choisi comme pays. « Nous sommes forts d’une culture, d’une identité et d’une Histoire riche. Nous devons l’affirmer de tout notre coeur », soutient la nouvelle résidente de Trois-Rivières, chaudement applaudie par les gens de la salle. « Je suis peut-être arrivée en 1997, mais je me fais un devoir de me rappeler, comme toutes les autres femmes du Québec, que les femmes ont dû se battre pour prendre leur place. Et je veux surtout me rappeler de celles qui ont brisé les barrières nécessaires à la libération de la femme. Pour une nouvelle arrivante comme moi, sachez que nous en sommes très reconnaissantes », ajoute celle que ses supporteurs aiment simplement et affectueusement appeler « Djemila », en ayant un petit plaisir à ajouter une musicalité particulière à son prénom.

Cette libération de la femme, elle l’attribue grandement à la séparation de l’Église et de l’État, qu’elle considère essentielle. « Les droits des femmes ne sont rien sans laïcité. Et… on a attendu longtemps pour l’avoir, cette laïcité. On l’a attendu longtemps… et on s’est battu longtemps. Il ne faut jamais l’oublier », insiste Mme Benhabib en regardant les gens dans la salle droit dans les yeux.

« Le multiculturalisme ne fonctionne pas ! »

Si Mme Benhabib fait l’éloge du Québec, il n’en est rien du multiculturalisme canadien. « Le multiculturalisme ne fonctionne pas ! », tonne-t-elle. « Ça équivaut à dire au peuple qui est chez lui qu’il n’est rien d’autre qu’un peuple parmi tant d’autres ! C’est totalement ridicule ».

« Il ne faut pas confondre l’ouverture à l’autre avec l’obéissance à l’autre. Chaque peuple a ses valeurs, ses buts et ses envies. Si le peuple dominant d’une juridiction n’affirme pas ces choses pour lui-même, personne ne le fera à sa place. Et il sera condamné à se fondre à la masse sans se poser de questions ».

Mme Benhabib, qui a souligné l’apport démocratique de la création de Génération nationale plus d’une fois, n’est pas tendre envers Québec solidaire. « Le multiculturalisme à la sauce solidaire, je l’ai vu et je l’ai subie. Il bâillonne les femmes, ce multiculturalisme. Lorsque je vois le lobby islamique torontois se mêler des affaires de Québec solidaire sans que ce dernier soit inquiété, je doute fortement des intentions de ce parti », affirme Mme Benhabib.

« Si je suis venu au Québec, ce n’est pas pour reproduire le cauchemar vécu dans mon village algérien : c’est pour vivre le Québec tel qu’il est, dans sa splendeur comme dans ses mignons petits travers », explique « Djemila » avec un petit sourire charmeur au visage.

Ce fut une journée très chargée pour Mme Benhabib puisqu’elle a appris, en avant-midi, qu’elle était finaliste au Prix de la littérature Gérald-Godin, remis annuellement en marge des Grand Prix culturels de Trois-Rivières. Des anciens récipiendaires se trouvent notamment Fred Pellerin, Réjean Bonenfant et Nancy Montour.

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