La liberté d’expression post-Charlie Hebdo

Faut-il limiter la liberté d’expression pour éviter de froisser les dogmes religieux ? C’est ce dont il a été question lors d’un débat organisé par Le Devoir mercredi soir au Musée de l’Amérique francophone.

Pour l’occasion, quatre intellectuels ont échangé leurs vues d’esprit sur cette question qui suscite les passions depuis les attentats survenus dans les locaux de Charlie Hebdo le 7 janvier dernier. Les discussions, riches en rebondissements, étaient dirigées par Antoine Robitaille, l’éditorialiste du quotidien de la rue de Bleury.

Dès le tour de table initial, Louis-Philippe Lampron, professeur à la Faculté de Droit de l’Université Laval, a tenu à souligner que la liberté d’expression est déjà limitée dans nos sociétés puisqu’il y existe des protections juridiques contre la diffamation et les propos haineux. Selon le juriste, il est possible de résoudre ce conflit par la valorisation du doute, un concept qui est à la base même des chartes.

Peu après, le professeur et journaliste à la retraite Jean-Pierre Proulx a désigné le respect de la dignité humaine comme la seule barrière possible à la liberté d’expression. « Idéalement, on ne devrait pas la limiter. En pratique toutefois, il faut savoir faire preuve de prudence et se retirer, au risque de tomber dans l’insulte et l’injure », a-t-il fait valoir.

Une affirmation avec laquelle Garnotte, le caricaturiste du Devoir, n’était visiblement pas en accord. « Le propre de la caricature est d’aller au-delà de la critique gratuite et de l’insulte. Même si l’humour n’excuse pas tout, elle agit à tout le moins comme une forme de dédouanement et de passeport », a lancé celui qui considère la liberté d’expression comme un de ses outils, au même titre que ses crayons ou ses effaces.

« La caricature repose sur un contrat social, a renchéri Mira Falardeau, spécialiste de l’humour visuel et co-auteure de Histoire de la caricature au Québec. Oui, elle peut tomber dans l’insulte, mais en restant toujours ancrée dans un certain consensus. »

Levée de boucliers

Jean-Pierre Proulx a ensuite affirmé que Charlie Hebdo n’aurait pas dû publier les caricatures de Mahomet. « On aurait pu critiquer ça autrement », a-t-il déclaré, réitérant du même souffle qu’un « jugement prudentiel » qui tient compte du contexte est toujours nécessaire dans ce genre de situations.

Cette affirmation a suscité une levée de boucliers de la part des autres panélistes. « Le critère de la prudence n’est pas le bon », a martelé Louis-Philipe Lampron, tout en faisant valoir qu’il faut avoir la liberté de critiquer les structures de pouvoir en place. « On ne devrait jamais interdire l’interdit », s’est quant à elle contentée de dire Mira Falardeau.

Une période de questions était prévue à la toute fin de l’heure et demie qu’ont duré les échanges. Une femme dans l’auditoire s’est alors avancée pour y aller de l’ultime intervention de la soirée : « Il a beaucoup été question de la liberté d’expression sous l’angle interindividuel, mais très peu, voire pas, d’un point de vue sociétal et politique. Pourtant, n’est-ce pas, justement, un combat politique ? »

Les applaudissements ont fusé de toutes parts.

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