Retour à l’état sauvage : Sauvagines de Gabrielle Filteau-Chiba

Il y a des livres qu’on lit pour se divertir, pour passer le temps ou pour s’endormir. Puis, il y a ceux qui nous marquent, nous inspirent, changent à jamais notre vision de la vie. Sauvagines en est un de ceux-là. Faisant suite à son premier roman Encabanée qui semblait osciller entre le récit et la fiction, Sauvagines prend place dans la région de Kamouraska. L’histoire d’Anouk Baumstark se poursuit, mais en tant que personnage secondaire.

Par Jessica Dufour, journaliste collaboratrice

C’est Raphaëlle Robichaud, l’héroïne de ce roman. Agente de protection de la faune, elle vit dans sa roulotte avec le chien qu’elle vient d’adopter, un croisement entre husky et coyote. Elle parcourt inlassablement la forêt pour

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remplir sa « mission viscérale de contrecarrer ceux et celles qui ternissent la réputation de [s]on espèce » (p.136). Ceux qui ne respectent rien de la nature, ceux qui prennent goût à tuer pour le plaisir ou pour des sommes ridicules qui dévalorisent la vie animale. Elle les pourchasse, mais se heurte au système qui préfère taper sur les doigts que d’imposer de véritables sanctions, favorisant la vitalité économique de la région, comme destination de chasse, à celle de la faune.

En trouvant le journal intime d’Anouk, Raphaëlle fait la connaissance de la femme. Elles connectent rapidement pour ne plus se quitter. Basée sur leur admiration mutuelle, une relation profonde se développe en peu de temps. C’est une connexion cosmique, un coup de foudre. Déterminée à mettre un braconnier hors d’état de nuire, la garde-chasse exécute le plan mis au point avec sa nouvelle compagne et Lionel, un bienveillant retraité en qui elle trouve une présence paternelle. Ce roman engagé met en lumière ces rencontres humaines qui nous rappellent notre propre essence.

C’est un texte poétique dans lequel les images s’invoquent d’ellesmêmes tant la lecture est légère. Même s’ils font avancer le récit, les dialogues manquent parfois de crédibilité. On pourrait très bien s’en passer tellement la narration est vivante et la langue bien maîtrisée. Une narration habile où les hommes et les bêtes se confrontent et se confondent. Dans cette œuvre aigre-douce, la véritable bête, c’est l’humain. Le braconnier, qui dans sa soif de domination, détruit sans vergogne l’écosystème en trappant de manière cruelle et incontrôlable jusqu’à taire le chant des coyotes.

Sauvagines est une histoire bien racontée qui parle du territoire avec amour et bienveillance, mais qui soulève des enjeux cruciaux. Elle expose la supériorité de l’économie sur l’environnement, dénonce l’inaction et cherche à ramener l’attention du lecteur sur l’essentiel. Elle propose une vision simple de la vie en accord avec la terre, en la ramenant à son origine, loin de la surconsommation. Un retour à l’état sauvage, à la nature animale de l’homme qui serait fort probablement bénéfique dans le contexte actuel de crise.

« Je me suis souvent sentie comme la sauvagine, dépouillée de mon droit de vivre librement. J’ai été élevée pour être productive, pour servir le système, pour consommer ce qui fait tourner la grande roue capitaliste » (p. 298).

Ce livre est une ode à la nature et mérite une place de choix dans le paysage littéraire. Si vous avez aimé Faunes de Christiane Vadnais, plongez sans hésiter dans l’univers de Gabrielle Filteau-Chiba. Inutile de vous vanter davantage ses mérites. Lisez-le, tout simplement.

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