Un solage qui fuit

Les Falaises, premier roman de Virginie DeChamplain, paraîtra aux éditions La Peuplade le 27 février prochain. Ancienne étudiante de l’Université Laval, l’autrice a déposé son mémoire en recherche-création en décembre dernier.

Par Emmy Lapointe, cheffe de pupitre arts

En vouloir trop

Je suis dans mon dernier cours de la journée, on est le jeudi de la première semaine. Ma professeure se présente, parle un peu d’elle, de son parcours. J’aime ça quand les profs le font, ça les humanise un peu. Elle dit une phrase, je sais que je n’ai pas besoin de la noter, que je vais m’en souvenir, parce que je la pensais sans le savoir. « J’attends beaucoup de la littérature, j’attends qu’elle me transforme, qu’elle me bouleverse. » Et je crois que c’est pour ça que j’ai de plus en plus de difficulté à lire ; chaque fois que j’ouvre un livre, j’ai peur d’être déçue. Je sais que ça sonne intense dit comme ça, mais c’est que j’ai peur qu’il m’arrive un jour de ne plus trouver la littérature suffisante.

Au moment où ma professeure dit ça, Les Falaises est mon premier livre de l’année 2020. Je ne suis qu’autour de la page 37, je traîne un peu les pieds. J’attends que la littérature fasse sa job, qu’elle me transforme, qu’elle me bouleverse, mais ça ne fonctionne pas. C’est de ma faute, je le sais. Je suis passive face à lui, alors il ne me rend rien, il attend que je m’implique, que je lui passe un bout de ma tête.

Installe-toi si tu veux

On est vendredi. Je suis dans un café de la rue Saint-Joseph pour ne pas faire changement. J’ai fini tout ce que j’avais à faire aujourd’hui. Il ne me reste plus qu’à lire Les Falaises, je n’ai pas le choix de le faire, j’ai dit que je ferais un article dessus, mais à la place, je vais sur Miniclip un peu, puis je me refais un énième compte Neopets. Je finis par arrêter de niaiser, je commence à lire.

Deux heures et demie plus tard, j’ai fini. J’ai envie de pleurer, mais je ne sais pas pourquoi. Je range mes trucs vite, je sors, il fait -30. Je mets une playlist de rap au hasard. Je pense que je pleure un peu, mais que les larmes n’arrêtent pas de geler. J’arrive chez moi, mes parents écoutent la télé, ça fait mon affaire. Je n’ai pas envie de parler, je ne saurais pas quoi dire de toute façon.

Je vais dans ma chambre, je drop mes trucs sur mon lit, je m’assois avec mon ordi par terre, je l’ouvre, et je coule comme la rivière Richelieu en avril. Barthes parle du destinataire de nos larmes, mais je n’en ai pas à ce moment-là, ou c’est au livre que je m’adresse, ou à sa narratrice, je ne sais pas, ça n’a pas d’importance, la seule chose qui en a, c’est qu’il y a un livre qui a réussi à me rentrer dedans.

Se réparer

Je sais que je n’ai rien dit sur Les Falaises encore, mais c’est que le livre suffit tellement en lui-même et que tout ce que je pourrais en dire serait superflu. Mais parce qu’il faut le faire, c’est une œuvre brillante, construite avec deux voire trois niveaux de narration. C’est d’une poésie certaine, c’est l’impression de se retrouver devant une partition musicale composée avec toute l’attention du monde, c’est la tendresse matérialisée, c’est le poids du vide et des non-dits, c’est le devoir d’une mémoire à construire.

« La neige tombe dehors et on me demande ce que je fais là. Je cherche ma mère ma grand-mère ma galaxie de femmes. Éparpillées dans le monde j’essaie de les retracer […] Les femmes de ma vie. On se succède sans se voir, comme des ombres qui courent devant les miroirs sacrent des coups de poing dedans et continuent leur route pour voir le monde. »

« Le blizzard dans les vitres et son corps
par terre dans ma bouche son ventre
et les cuisses humides de la tempête
dehors et la tempête en dedans ouverte dans mes mains

il a mis un vinyle que je ne connais pas
et je crois que ça aurait été un bon moment pour mourir »

 

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