Crédit photo : Cath Langlois Photographe

«Blackbird» : Un huis clos brûlant qui donne froid dans le dos

Una vient retrouver l’homme avec qui elle a couché, quinze ans plus tôt, à douze ans. Cet homme, Ray, avait une quarantaine d’années à l’époque. La jeune femme, dont la vie a été écorchée par cet épisode, vient chercher et donner des réponses. Elle veut savoir ; elle veut qu’il sache. Lui ne veut pas. Mais leur conversation l’entraîne sur le terrain qu’il redoutait. La confidence. La mise à nue. La violence du corps et des mots.

Sur une scène bi-frontale qui assure une proximité avec le public, la pièce commence subitement, aux premières lumières. Une lumière froide émise par des néons sur une pièce où traînent plein de déchets. La scénographie qui offre deux points de vue différents, en fonction du côté de l’air de jeu où l’on est assis, nous donne l’impression d’être dans la même pièce que les deux personnages que l’on surprend dans une rencontre déjà entamée. On assiste à une conversation rythmée sur des répliques entrecoupées qui désignent une absence d’écoute. On se rendra compte, en même temps que les personnages, que chacun détient une version de l’événement que l’autre ignore. De l’amour? De l’affection? De l’admiration? De l’innocence? Le doute? Le regret? Un peu de tout cela. Mais aucune réponse. Que des pistes de réflexion sur un sujet qui rend inconfortable, qui fait mal, dont on ne parle pas sans se crisper. Néanmoins, cette formule qui laisse les paroles en suspens alourdit à plusieurs reprises le dialogue et crée une impression d’oubli de la part des comédiens.

On sent la fébrilité bien naturelle d’une première chez les acteurs, dans le rythme précipité des répliques et dans le manque de chaleur des personnages. Toutefoisl’interprétation du comédien Réjean Vallée (Ray) prend du corps au fur et à mesure que la pièce progresse. Son personnage nous touche, notamment parce qu’on ne sait pas si on doit l’aimer ou le haïr. Il nous inspire de la pitié, du dégoût. Quant à Gabrielle Ferron (Una), tout en y percevant tout l’investissement du jeu, on ressent un manque de force et de nuance.

Si au départ ce sont des banalités qui sont échangées, c’est pour traduire un malaise entre Una et Ray. En d’autres mots, cette platitude, voire cette insignifiance des sujets de conversation accentue la tension qui règne entre les deux individus. Or, ces paroles de surfaces prennent de la profondeur et de la violence au fur et à mesure de l’entretien. On nomme de plus en plus les faits. Et ça fait mal.

L’écriture de David Harrower nous émeut par la façon crue, mais touchante dont il dit les choses. Il en résulte une violence nuancée, et c’est cette tonalité qui rend toute la pertinence à Blackbird.

«Blackbird», à Premier Acte jusqu’au 23 février.

 

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