Les cinq diables : odeurs et non-dits

Après avoir exploré le sens de la vue avec Ava, Léa Mysius revient avec un second long-métrage, Les cinq diables, explorant la mémoire olfactive et traumatique. Entre le thriller, le drame romantique et pourquoi pas le merveilleux horrifique, Léa Mysius propose une œuvre aboutie dont le scénario ne saurait satisfaire pleinement que celleux qui acceptent les blancs scénaristiques. Le film sera disponible sur Mubi à compter de vendredi, 12 mai.

 Par Emmy Lapointe, rédactrice en chef

 Réalisation : Léa Mysius | Scénario : Léa Mysius et Paul Guillhaume | Direction photo : Paul Guillhaume | Musique : Florencia Di Concillio | Distribution : Adèle Exarchopoulos, Sally Dramé, Swala Emati, Moustapha Mbengue, Patrick Bouchitey, Daphné Patakia, Noée Abita. 

Les odeurs du temps
Victime d’intimidation de la part de ses camarades de classe et prise dans la relation essoufflée de ses parents, Vicky trouve un réconfort auprès des odeurs qu’elle détecte et recrée avec précision. Lorsque sa tante, la sœur de son père, vient vivre avec elleux le temps de quelques semaines, l’équilibre visiblement déjà fragile de la famille est menacé par le passé qu’elle fait renaître. L’odeur de Julia déclenche chez Vicky des visions qui lui permettent, petit à petit, de reconstituer son passé familial.

Les cinq diables, majoritairement tourné en Isère dans la Vallée de l’Oisans, à Bourg-d’Oisans, au Lac du Buclet et au Lac du Verney, offre des paysages qui évoquent à la fois rêves et réclusion, une combinaison parfaite donc pour que le scénario de Léa Mysius et Paul Guillhaume s’y déploie. Et si les prises de vue aériennes qui ouvrent le film – un trope formel que l’on connaît trop bien, mais qui demeure efficace – montrent d’abord l’immensité et l’éloignement du territoire, celles près des lacs Buclet et Verney, de la piscine, du bar et dans la maison familiale instaurent quant à elles l’étanchéité du milieu et des rapports sociaux. Ainsi, la présence de Julia, de retour dix ans après sa fuite, n’évoque, pour la communauté tout comme pour Vicky, rien de bon alors que toustes la savent responsable d’un drame, drame que Vicky connaîtra par voyage temporel-olfactif.

Difficile d’en dire davantage sans divulgâcher, surtout que l’intrigue du long-métrage de Léa Mysius représente un nœud difficilement dénouable, puisqu’elle-même semble nous dire que tout revient au début et que les sagas familiales sont des cycles qui reproduisent tendresses et traumatismes.

La mémoire olfactive
Dans une étude de 2013, des chercheur.euses d’Atlanta transmettaient à des rats mâles de légères décharges électriques en même temps qu’une odeur de cerise afin qu’ils en viennent à craindre l’odeur de cerise. Ces rats se sont ensuite reproduits, mais n’ont pas participé à « élever » les ratons. Pourtant ceux-ci et même leurs descendants montraient des signes de peur et de stress lorsqu’ils sentaient une odeur de cerise. Ainsi, et c’est le postulat de l’épigénétique, cette étude comme plusieurs autres montrent qu’à la suite d’un traumatisme, l’ADN n’est pas modifié, mais est tout de même marqué et le génome est chimiquement modifié. Les traumatismes pourraient alors tant être innés qu’acquis. Et c’est ce que semblait me dire le film de Mysius, que les traumatismes se construisent par ce qui est dit comme par ce qui n’est pas dit. Après, ceux présentés dans Les cinq diables semblent pouvoir trouver guérison quand l’ordre des choses est rétabli, comme si rejouer l’histoire permettait de réparer ce qui viendra. Mais on le sait, rejouer l’histoire est un privilège de la fiction.

Dans tout ça, le jeu des trois actrices principales est remarquable. Le montage demande au spectateur.rice d’accepter que tout n’ait pas de sens. La musique du film est un bon rappel que l’album Born to Die de Lana Del Rey a maintenant plus de dix ans et que les adolescent.es qui l’écoutaient en boucle ont maintenant des enfants.

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