Crédit photo : Julie Caron

Une colonie de Geneviève Dulude-De Celles: Captation de l’authentique

Pour son premier long-métrage de fiction, Geneviève Dulude-De Celles a pris quelques risques. Ainsi a-t-elle tenu à effectuer le tournage de son film Une colonie majoritairement en région malgré les coûts supplémentaires encourus, et à rallier de jeunes acteurs-rices qui en étaient à leur toute première expérience de plateau. En définitive, ces choix témoignent non seulement du cran que possède la réalisatrice, mais de sa vision. Ils confèrent une singularité, de même qu’une âme magnétique et luminescente au film.

 Impact Campus s’est entretenu avec Geneviève Dulude-De Celles, réalisatrice et co-fondatrice de la boîte de production Colonelle Films.

L’appel de casting a d’abord été lancé de manière très large. La réalisatrice et son équipe ont ainsi choisi les membres de la jeune distribution parmi quelque 600 postulants-es.

Parmi ceux-ci, tous-tes n’étaient pas rompus aux rudiments des tournages cinématographiques. Dulude-De Celles a donc consenti à « investir dans un deux mois de répétitions » en amont du tournage, celui-ci s’étant échelonné sur 28 jours à l’automne 2017. Les retombées de cette « belle période » de préparation sont bien perceptibles à l’écran : la sororité entre les personnages de Mylia (Émilie Bierre) et de Camille (Irlande Côté) est véritable, est-on tout à fait disposé-e à croire. « Quand on est arrivé en premier jour de tournage, les deux filles se serraient dans leurs bras, elles s’aimaient déjà », relate la réalisatrice.

Ce choix participait aussi du désir d’accéder à une « belle authenticité », les jeunes qui ne sont pas issus-es d’agences de casting ayant préservé le cachet de l’« accent des régions ». Dulude-De Celles affirme d’ailleurs qu’elle sait reconnaître la particularité des régions, ayant elle-même grandi à Sorel-Tracey. 

L’adolescence : une période charnière

À quoi cette particularité de Sorel-Tracy tient-elle ? « Aux paysages, affirme Dulude-De Celles. C’est très agricole, il y a beaucoup de champs de maïs, des grands champs à perte de vue ». Quant au village abénakis d’Odanak où se déroule une partie de l’intrigue, elle a souhaité restituer le charme, l’aspect « très mignon » à la vision populaire plutôt négative entretenue à l’égard des communautés autochtones. « On était content de montrer à quoi ressemble cette communauté. L’image qu’on se fait souvent des communautés autochtones, c’est des maisons en clapboard, beiges, avec peu d’arbres. Alors qu’à Odanak, dès que tu y entres, il y a une pancarte de bienvenue super belle, avec un visage autochtone. Un peu abîmée par le temps, mais très belle ».

La caméra s’attarde ainsi à cette pancarte à l’entrée du village, sorte de témoin « figé dans le temps » sur laquelle sont burinées des inscriptions en abénakis. Le thème de la transition, intrinsèque à l’adolescence, fait contrepoids à la fixité de ce poteau. « La transition est très importante dans le film – surtout la transition entre le monde de l’enfance et de l’adolescence. Mylia, quand elle rentre au secondaire, elle a douze ans : c’était la plus grande à l’école primaire, elle se trouve à être la plus jeune à l’école secondaire. Elle va rencontrer des gens qui se trouvent à être un petit peu plus vieilles qu’elle, plus matures qu’elle. Qui ont déjà un petit éveil à la sexualité. Ça va être un choc pour le personnage ». 

Une fiction qui fraie avec le genre documentaire

La flamme que voue la réalisatrice au genre documentaire semble inextinguible, même à travers cette première œuvre de fiction. Geneviève Dulude-De Celles, qui considère qu’elle « vient du documentaire », assume tout à fait cette parenté avec le genre. « Comme en documentaire, on ne coupe pas, on ne refait pas. Il y a de l’action qui se passe, on essaie de la capter, d’être au meilleur endroit avec la caméra. Aussi, on savait que le film portait sur cette protagoniste qui est Mylia. On voulait que notre regard soit collé à elle, et être près d’elle physiquement, observer son visage, aller chercher cette intimité-là à la caméra. Son visage en lui-même allait nous raconter une histoire : nous faire voir à la fois ses anxiétés, ses faiblesses. »

Le film offre ainsi une plongée dans l’intimité de ce personnage, otage chétive de la peur de gravir les échelons qui mènent au monde adulte. Elle affecte une curieuse réserve. L’auditoire croit percevoir les reproches muets qu’elle s’adresse à l’occasion, alors qu’elle peine à mimer celles qui, autour d’elle, paraissent épanouies sur tous les plans, sexuel inclus. Mylia semble livrée à la confusion, et vouer simultanément un amour et une haine envers l’enfance, ce continent dont elle quitte les rives. L’envie chez l’auditoire de secouer la protagoniste, puis de la recueillir au creux de ses bras, témoigne de cette émotivité très forte qui empreint les images.

Traquer l’authenticité

Une telle charge émotive est sans doute tributaire d’une direction photo assumée par le duo Léna Mill-Reuillard et Étienne Roussy. Parmi quelques lignes directrices, le trio avait convenu de capter « une lumière douce » lors des nombreuses scènes extérieures qu’ils avaient à tourner. « On a essayé de tourner à des heures où il y avait des couches et des levers de soleil pour aller chercher ces moments-là de transition, la lumière jaunâtre, douce, de début ou de fin de journée ».

Renvoyant à ce désir chez Dulude-De Celles de traquer cette « authenticité qu’on retrouve dans le documentaire, et la spontanéité des jeunes », l’équipe a également « tourné beaucoup en plans séquences. L’idée était de donner de l’espace aux comédiens, de pas trop segmenter, de donner l’impression qu’on suit quelque chose ».

L’équipe a ainsi procuré aux membres de la distribution la pleine « liberté de bouger », renforçant l’idée que leur équipe était constituée de « petites souris – munies de caméras à l’épaule! – qui entraient dans la vie de ces jeunes-là, et assistaient à quelque chose de réel ».

 

Quelques inspirations :

Swedish Love Story, de Roy Andersson (1969)

« C’est une histoire d’amour entre deux jeunes pré-adolescents. Ils ont encore leur corps d’enfants, mais ils sont déjà dans l’adolescence, ils fument des cigarettes, ils essaient d’avoir l’air de bums. Je trouvais le regard du cinéaste intéressant, puisque c’était un regard aimant sur les personnages. Il avait su capter cette période charnière de basculement entre l’enfance et l’adolescence. »

Entre les murs, de Laurent Cantet (2008)

« Le film avait gagné la Palme d’or en 2008. Ça se déroule dans une école secondaire, ça met en scène des jeunes. On est dans l’hyperréalisme, donc on se sent comme si on était dans un documentaire, mais on est dans une classe. Une très grande authenticité ressort de cette œuvre. »

Fish tank (2009) ou encore American Honey (2016), d’Andrea Arnold

« Pour l’esthétique très réaliste, et sa galerie de personnages. Elle aussi travaille avec des acteurs-rices non professionnels-les. Je crois qu’elle avait déniché une héroïne sur une plage, elle l’avait jamais vue ! C’est une démarche qui m’interpelle. »

 

Consulter le magazine