Critique littéraire: Owen Hopkins, Esquire

Drame familial et mensonges en fragments 

Le nouveau roman de Simon Roy, Owen Hopkins, Esquire, surprend par sa forme peu commune et ses personnages marqués par le sentiment d’imposture. Il est du travail du lecteur de rassembler ces bribes d’histoires échappées par fils décousus par Jarvis, appelé au chevet de son père pour tenir une vieille promesse. 

simon royPar bien des aspects, le nouvel ouvrage de Roy présente des traces de son précédent livre-essai Ma vie rouge Kubrick. Il ne faut pas s’attendre à trouver ici les carcans d’un roman traditionnel. On passe de la prose d’idées à l’évocation de souvenirs d’enfance et au journal de Jarvis.

L’envie n’y est pas de retrouver ce père menteur compulsif qui a déserté trop tôt sa vie, le laissant seul avec les démons du passé qui finiront aussi par nous rattraper. Le sentiment d’embarras du fils contraint à se rapprocher de son père mourant est bien présent.

Des entrées courtes sous la forme de fragments font lieu de chapitres dont plusieurs empruntent la forme de l’essai. On pense, entre autres, à la démonstration de l’étymologie du mot « imposture ». Si à première vue ces entrées semblent trop informatives, elles ne sont néanmoins pas laissées au hasard. Tout se rapporte d’une façon ou d’une autre au portrait du père, véritable imposteur, ou encore, au passé familial. On se surprend alors à découvrir la nécessité de ces passages qui peuvent parfois trop avoir l’air de données tirées de Wikipédia.

La patience est nécessaire afin de déceler le point de chute de tous ces courts chapitres. Les évènements à la source de la culpabilité des personnages tardent à émerger. Ce n’est que par les réminiscences de souvenirs d’hiver qu’on s’arrache quelques pièces du puzzle familial. Or, le tragique s’immisce dans ces réminiscences dans la deuxième moitié du roman. La tragédie frappe, surprend, émeut au moment où on s’y attend le moins.

Un père collectionneur d’affabulations

Le portait du père affabulateur de souvenirs en fait un personnage attirant. N’est-il pas intriguant qu’il tienne tant au titre de respect non officiel,  « esquire », accolé à son nom? Les souvenirs d’enfance proposent un regard plus nuancé et parfois même tendre de cet homme froid et dur. Or, le fils, qui est aussi le narrateur de cette histoire, insiste sur le caractère d’imposteur du patriarche. Un ton souvent trop détaché et inflexible est utilisé pour parler du père. N’est-il pas autre chose qu’un simple visage à deux faces? On aurait aimé qu’il soit davantage pluridimensionnel.

On se plaît à retrouver les thèmes du précédent livre de Roy, tels que ceux du drame familial, de la culpabilité et de la famille dysfonctionnelle. Si certains passages à la formule un peu « wikipédienne » font sourciller quant à leur bien-fondé et leur caractère incongru, d’autres sont étrangement magnétiques et émouvants.

Le roman propose une réflexion stimulante sur la place que tient le mensonge dans nos vies. N’est-il pas plus sain de préférer la supercherie à la tragique ou banale vérité? Il vaut mieux parfois croire les extravagances de l’imagination. De toute façon, Owen Hopkins, Esquire risque de laisser des mensonges en héritage.

3,5/5

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