Photo: Courtoisie, Stéphane Bourgeois

La Détresse et l’Enchantement : grâce et sobriété pour relater la vie marquante de Gabrielle Roy

La vie de l’écrivaine phare de la littérature canadienne du XXe siècle est racontée avec une belle sensibilité au Théâtre du Trident jusqu’au 1er décembre prochain. Seule sur la scène, Marie-Thérèse Fortin incarne la grande dame et de nombreux de ses proches avec inventivité et habileté. Malgré une première partie un peu moins forte, la pièce demeure un hommage marquant assez enthousiasmant.

Photo : Stéphane Bourgeois

Marie-Thérèse Fortin, actrice chérie du public québécois, et Olivier Kemeid, metteur en scène et directeur artistique du Théâtre de Quat’Sous de Montréal, donnent vie à l’œuvre autographique de la grande écrivaine. Madame Fortin affirme par ailleurs que par l’intermédiaire de la pièce, elle espère inciter le public à (re)découvrir les romans et récits de Roy, lesquels ont marqué la littérature canadienne écrite en français. Quoi de mieux pour y parvenir que de relater la vie marquante de l’auteure depuis son enfance passée à Saint-Boniface, un quartier francophone de Winnipeg, jusqu’à la réalisation, à l’aube de la trentaine, qu’elle est mue par un puissant désir d’écrire? La création, coproduite par le Théâtre du Nouveau Monde, le Théâtre du Trident et Trois Tristes Tigres, suit les grandes lignes de l’ultime récit La Détresse et l’Enchantement, paru en 1984, un an après la mort de Roy.

Le défi d’être seule sur scène

Marie-Thérèse Fortin avait un défi colossal à relever. Seule sur la scène, elle incarne l’auteure lorsqu’elle est enfant, adolescente et jeune adulte, de même qu’une kyrielle de personnages qui ont gravité autour d’elle. Parmi ceux-ci, on retrouve la mère à la fois aigrie et aimante de cette dernière, un imperturbable inspecteur d’école, une attachante tenancière de pension, une volubile nouvelle débarquée à Paris et une Anglaise férue de Shakespeare. La gestuelle et la voix de l’actrice sont ses seuls appuis. Le décor sobre et d’une grande élégance ne distrait pas le spectateur et l’incite à se concentrer sur la performance de l’actrice. Le jeu de lumière, particulièrement bien maîtrisé et envoûtant, se révèle cependant un bel ajout qui renforce sa prestance.

Tout le spectacle repose donc presque totalement sur les épaules de Marie-Thérèse Fortin, et elle s’en tire généralement très bien. Son interprétation est sensible et sentie; elle enchaîne avec aisance les passages de la vie de Roy où une certaine retenue est appropriée et ceux, plus houleux, qui doivent être joués avec fougue et une plus grande démesure.

On croit toutefois un peu moins aux personnages enfants de la première partie de la pièce. Ces derniers, même s’ils sont colorés, parviennent moins à être complètement crédibles. On aurait aussi aimé mieux saisir le personnage de la mère, tiraillée entre les aspirations qu’elle souhaite pour ses enfants et le désir d’émancipation de ces derniers.

Une deuxième partie plus percutante

La magie opère surtout dans la deuxième partie de la pièce, lorsque l’actrice se penche sur l’épopée de Roy en Europe. On en pince pour l’interprétation du metteur en scène nonchalant et imbu de sa personne et celle de la charmante Esther Perfect, la dame londonienne adepte du « high tea » qui a une influence indélébile sur l’auteure. Impossible de ne pas sourire jusqu’aux oreilles lorsque l’unique actrice du spectacle enchaîne l’interprétation de ces personnages à quelques minutes d’intervalle à peine.

En fin de compte, on peut se dire que Marie-Thérèse Fortin a réussi sa mission. Au moment de sortir de la salle, le spectateur a effectivement envie de s’immerger à nouveau dans l’œuvre de Gabrielle Roy. La lecture de Bonheur d’occassion, par exemple, à la lumière des informations apprises et jouées avec candeur, ne sera plus la même.

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