Éloge et critique de la presse en sept films-phares

Négligés par une population qui ne jure plus que par les réseaux sociaux, malmenés et conspués par le 45e président des États-Unis, rabaissés par le travail douteux, odieux ou ridicule de certains collègues, les journalistes du XXIe siècle ont la vie dure. Pourtant, ils inspirent encore et font régulièrement la preuve de leur pertinence. Par réaction, sans doute, aux misères du temps, le cinéma américain des dernières années a même fait du journaliste l’une de ses figures de proue. Héros modernes, les reporters ? Sans doute : quand ils n’enfilent pas leurs collants et leurs survêtements, Peter Parker et Clark Kent ne sont-ils pas journalistes ?

Le classique : All the President’s Men (1976)

Le sous-genre du «film de journaliste», ou d’investigation, est américain avant tout. Et c’est sans doute le classique d’Alan J. Pakula qui lui a donné ses lettres de noblesse. Sorti sur les écrans en 1976, All the President’s Men raconte, à la manière d’un thriller, l’enquête menée par deux journalistes du Washington Post sur ce qui deviendra le scandale du Watergate. Pour mémoire : Richard Nixon, président républicain des États-Unis alors en quête d’un deuxième mandat, avait fait placer sous écoute le quartier général des démocrates – le Watergate – , contrevenant ainsi aux lois fédérales. L’arrestation de cinq «voleurs» dans l’édifice du Watergate, malgré les efforts de dissimulation de l’administration Nixon, attire l’attention de la presse qui découvre des liens entre les cinq criminels, la CIA et le bureau du président.

Les révélations des journalistes Carl Bernstein (Dustin Hoffman) et Bob Woodward (Robert Redford), nourries par les informations privilégiées offertes par l’informateur Deep Throat, ont plus tard entraîné la démission de Nixon, menacé de destitution par le Congrès. Magistralement interprété, rondement mené, All the President’s Men est à la fois un vibrant hommage au rôle de chien de garde des médias et un tour de force cinématographique.

Les premiers de classe : Spotlight (2015) et Good Night, and Good Luck. (2005)

Boston, Massachusetts, 2001 : Spotlight, l’équipe d’enquête du Boston Globe, remonte patiemment la piste d’un énorme scandale sexuel. Pendant des décennies, l’Église catholique aurait couvert les agissements de prêtres pédophiles. Les recherches des journalistes révèlent des dizaines et des dizaines de victimes. Ce superbe film de Tom McCarthy, qui met notamment en vedette Mark Ruffalo, Michael Keaton, Rachel McAdams, Liev Schreiber et Stanley Tucci, est incroyable de force, de pertinence et d’émotion. Un modèle du genre, lauréat de deux Oscars (meilleur film et meilleur scénario original).

Dans les années 1950, en pleine «Peur rouge» aux États-Unis, Edward R.Murrow, animateur-vedette de la télévision de CBS, ose s’attaquer à Joseph McCarthy, sénateur tout-puissant et grand inquisiteur de la commission sur les activités anti-américaines. Le journaliste et son équipe dénoncent, malgré les menaces, la campagne de peur orchestrée par le sénateur, qui enchaîne les accusations et les dénonciations infondées. Good Night and Good Luck est un film austère, un peu aride, sobrement réalisé par George Clooney, sur un moment passionnant de l’histoire des médias et du journalisme.

On retiendra notamment les mots – véritables – d’Edward Murrow, magnifiquement interprété par David Strathairn : «il y a de grandes batailles, peut-être déterminantes, qui doivent être menées contre l’ignorance, l’intolérance et l’indifférence. Cette arme qu’est la télévision pourrait être utile». Sans la vigilance des journalistes, ajoute l’animateur en guise d’avertissement, elle pourrait s’avérer n’être qu’«un tas de fils et de lumières dans une boîte».

La déception : The Post (2017)

Steven Spielberg qui s’attaque à l’affaire des Pentagon Papers, avec Meryl Streep et Tom Hanks au générique ? On attendait une merveille ; on a plutôt été quittes pour presque deux heures d’un profond ennui. Aucune tension dans ce long-métrage inabouti, dont l’ambition tourne à vide. Pourtant, la matière était là : la lutte pour la liberté de la presse, l’essor du grand journalisme d’investigation, le gouvernement américain empêtré dans ses mensonges sur la guerre du Viêt Nam, le Washington Post qui veille… Rien à faire : c’est plat, convenu, scolaire : même

la grande Meryl Streep, en patronne de presse attaquée de partout dans un monde d’hommes, ne parvient pas à nous arracher autre chose qu’un bâillement.

Les critiques, pourtant, ont adoré. Un film sur des journalistes, pour des journalistes ? On l’a dit. Ce n’est pas si bête. Qu’importe : The Post serait-il un film utile, en une époque troublée ? Peut- être. Mais il l’eût été encore davantage s’il eût été réussi.

Les critiques : La dolce vita (1960) et Nightcrawler (2014)

Il y a les journalistes d’enquête, sérieux, héroïques, nobles malgré leurs travers : héros de l’ombre en pleine lumière. Mais le cinéma s’est aussi intéressé à ceux qui, loin des grands dossiers et des grands enjeux, rapportent les délits de fuite, les faits divers sordides, les potins de star. Fouille-merde, sans doute, seconds couteaux, oui, mais en quelle compagnie !

Trône en bonne place, dans ce palmarès des mal-aimés, La dolce vita de Federico Fellini, portrait d’une Italie bourgeoise, décadente, baroque et clinquante, que rappelle aujourd’hui le cinéma de Paolo Sorrentino. Le maître italien braque sa caméra sur Marcello Rubini (Marcello Mastroianni), journaliste mondain, chasseur de vedettes qui oublie son mal- être en écumant les grandes soirées et les tristes nuits de Rome. Paparazzi : le mot, aujourd’hui usuel, provient d’ailleurs directement du nom du photographe qui accompagne Rubini, Paparazzo. Palme d’or à Cannes en 1960, ce long-métrage est généralement considéré comme l’un des grands chefs-d’œuvre du septième art.

Nightcrawler nous entraîne dans un tout autre univers, sombre, glauque, médiocre – sinon minable – à bien des égards. On suit, dans ce trépidant thriller de Dan Gilroy, un criminel à la petite semaine devenu vidéaste et journaliste freelance. L’homme, dénué de tout scrupule, traque

les drames les plus sordides, avec un sans-gêne qui finit par verser dans l’abjection. Critique féroce de la course aux clics et aux cotes d’écoute, portrait d’une Amérique délinquante et agressive,Nightcrawler met en vedette le toujours formidable Jake Gyllenhaal en rôdeur inquiétant, prêt à tout pour faire la nouvelle. Rene Russo, en chef d’antenne avide, lui prête la réplique.

Le documentaire : Citizenfour (2014)

Encensé par la critique, récompensé notamment par l’Oscar et le BAFTA du meilleur film documentaire en 2015,Citizenfour est un vrai coup de poing au visage. La réalisatrice de ce documentaire, Laura Poitras, est l’une des deux journalistes – avec Glenn Greenwald, alors au Guardian – à avoir révélé les pratiques illégales d’écoute et d’espionnage de la NSA, puissante agence américaine de renseignement. Au cœur de ce grand dévoilement : le lanceur d’alerte Edward Snowden, alias citizenfour, interrogé par les deux reporters dans une atmosphère électrique, tendue au maximum. Plus fort, plus vrai et plus poignant que le navet biographique d’Oliver Stone,Snowden, qu’on évitera à tout prix.

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