Entre l’absurde et la réalité

Gagnant du prix RobertCliche pour le meilleur premier roman, Philippe Meilleur lançait Maître Glockenspiel le 11 septembre dernier chez VLB éditeur. Figure déjà bien connu sur la scène médiatique québécoise pour le site internet satirique Le Navet, il nous offre ici une œuvre intéressante et originale.  

 Dans un monde sans nom, Glockenspiel est empereur d’une nation sans sens, vivant de la sueur du prolétariat (littéralement), consommant des personnalités où la lutte politique est vraiment de la lutte, mettant face à face la gauche et la droite dans des combats de catch (truqués comme n’importe quel combat de catch honnête). Or, ce monde serein est menacé, la société allant mal, l’économie courant à sa perte et l’ennemi (ici encore, littéralement) se faisant menaçant.  

L’impression que laisse le livre est ambivalente. Le plus juste serait de dire qu’il compense ses faiblesses par ses forces. Le style de l’auteur est convenu et sans saveur, à part quelques très belles phrases dans les dernières pages. La psychologie des personnages est peu développée, nous laissant perplexe sur ce qui arrive à chacun d’eux, leur fins semblant interchangeables. L’histoire est quant à elle famélique, donnant l’impression qu’il fallait une excuse pour présenter le monde grotesque imaginé par l’auteur, alors que même la conclusion laisse le lecteur confus, faisant songer à un mauvais Candide ou à la simple lassitude de l’écrivain. 

Critiques acerbes d’une société décadente 

Pourtant, on pardonne tout cela, et ce sans aucune hésitation, car l’intérêt du roman ne se trouve pas là. Il est plutôt dans la critique sociale qui est dressée, menant à des pensées et exagérations brillantes, que ce soit les marchands de personnalité vendant du proto-bohémien à tout-va, la tente des charités où des ONG aux buts tous plus ridicules les uns que les autres se battent pour les deniers des riches ou l’oracle qui est ici une sorte de Standard & Poor’s mystique.  

De plus, Meilleur demeure parfaitement en équilibre pour rester agréable à tous, en ne tirant pas à vue sur tout ce qui bouge avec cynisme et en ne poussant pas trop sur un gag comme pour faire passer un message. Il pose sa touche et nous laisse le plaisir de faire le reste du travail, certaines fois en nous surprenant avec la simplicité et la justesse de ses idées, comme les oligarques du pays s’appelant ici des producteurs de richesses, nous mettant ainsi en trois mots sur un mince fil entre un monde dystopique et un discours de Philippe Couillard. Le génie étant dans le fait qu’il ne nous fait jamais tomber d’un bord ou de l’autre… peut-être parce qu’il n’y a pas vraiment de séparation.  

Au final, tous ceux qui se procureront ce roman en espérant vivre de l’émotion, des rebondissements et explorer les tréfonds de la psyché humaine seront déçus. Par contre, pour n’importe quel lecteur en manque de critique sociale, où le bon goût s’accompagne d’absurde et d’une fine touche de sarcasme, c’est une œuvre à ne pas manquer. 

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