Entrevue avec Cassie Bérard et Miléna Babin : Démêler les fantômes

Cassie Bérard et Miléna Babin ont respectivement 26 et 25 ans, étudient en littérature et en rédaction à l’Université Laval, sont ben fines, super intelligentes, un peu coquines et sortent toutes deux leur premier roman en février, romans aux titres étrangement similaires : D’autres fantômes aux éditions Druide et Les fantômes fument en cachette aux éditions XYZ.

Non, elles ne sont pas sœurs jumelles, pas même de parents éloignés, elles ne s’appellent pas pour savoir ce qu’elles vont porter, sortent dans des endroits tout à fait différents, dans des villes différentes, viennent de régions géographiquement opposées et même si elles partagent des préférences pour le moins étranges envers le Dalaï-Lama, le bobsleigh et la fondue chinoise, tout en abhorrant à la fois Bieber et Cyrus, ça ne les empêche en rien d’avoir écrit des romans carrément aux l’antipodes l’un de l’autre, malgré leurs « fantômes » communs, les uns fumant la pipe et les autres, la cigarette.

Cassie Bérard termine bientôt un doctorat en études littéraires à l’Université Laval, se concentrant sur la non-fiabilité narrative. Elle enseigne déjà la création littéraire (Miléna faisait d’ailleurs partie de son tout premier groupe d’étudiants) en tant qu’auxiliaire d’enseignement et a reçu le soutien de Première Ovation pour un projet romanesque.

C’est le cas de le dire, la jeune romancière n’en est pas à ses premiers griffonnages. Pourtant, elle se fait rassurante pour son futur lectorat : « Si D’autres fantômes fut, sans aucun doute, inspiré par l’écriture exigeante de certains romans formalistes, c’est malgré tout un projet qui peut toucher un public général. »

En effet, au fil des quelque quatre cents pages, soigneusement travaillées et retravaillées durant trois années successives, apparaît Albert, Français d’origine québécoise dans la fin trentaine, témoin impuissant du suicide d’une jeune femme sur les rails du métro de Paris. Un simple fait divers dans l’une de ces grandes villes modernes qui habituent leurs citoyens à la fatalité grise de leurs trottoirs? Peut-être, mais les quelques gouttes de sang qui s’accrochent aux verres des lunettes d’Albert ne seront pas aisées à essuyer.

 Ces quelques gouttes tachent sa pensée qui, peu à peu, sera tourmentée par cette femme, devenue fantôme. Il décidera de la poursuivre jusqu’à perdre le rythme rassurant de son quotidien tranquille et tomber dans le rêve, la folie.

« On ne sait pas comment certaines choses peuvent nous happer, note Cassie Bérard, l’intérêt étant de capter la voix intérieure du personnage et de voir l’univers par ses yeux, jusqu’à tomber complètement dans ses obsessions personnelles. »

Dans cette espèce de huis clos intérieur, véritable lieu d’exploration du flux de pensée d’un homme qui se crée ses propres turbulences, le lecteur ne peut qu’être interpellé par ce tourment; le tourment de ce qui sort de l’ordinaire et devant lequel nul ne peut prévoir et contrôler ses réactions.

Un roman réaliste, mais où l’existence est synonyme d’étrangeté, où le lecteur accepte de devenir autre, de revêtir l’intimité d’un homme dont la quête insolite ne nous dépasse peut-être pas autant qu’on pourrait d’abord le croire.

D’autres fantômes sortira le 12 février prochain en librairie, et sera lancé le 20 février à la Librairie Vaugeois dès 17 h 30.

Ceux qui la connaissent de proche ou de loin le savent : cette jeune Gaspésienne (Carleton-sur-Mer) a commencé à écrire son roman – son bébé – dès son secondaire cinq. Si vous, terribles lecteurs enfantins, préfériez suivre bêtement les périples d’Harry Potter et de son ami roux, pour vous coucher aux petites heures du matin sans savoir qu’Hermione ne tombera jamais amoureuse du sorcier à la splendide cicatrice, sachez que Miléna Babin, elle, se levait à ces mêmes heures (5 h 32, précisément), seule, afin de faire avancer, petite phrase par petite phrase, ces propres personnages épris d’une relation triangulaire des plus complexes.

Un roman d’adolescent? Que nenni! Bien que certains ados pourraient y trouver leur compte, l’exploration d’un amour triangulaire entre Maeve – oui, comme la fille dans Sinbad le Marin –, Loïc – l’ami d’enfance de Maeve – et Fred, la jeune fille qui chamboulera pour de bon la relation fusionnelle pour le moins troublante des deux adolescents, est plutôt, selon son auteure, « une version des relations humaines très différente de ce qui est accepté et valorisé dans notre société actuelle. »

Désolé messieurs, il ne s’agit pas d’une bataille dans le Jello entre deux jeunes filles canons pour l’amour du bel étalon auquel vous pourriez vous identifier à tort, mais plutôt du désastre qui découle des limites incertaines entre l’amour et l’amitié, où chacun se bat sur deux fronts différents et où l’on n’attend pas les bonnes choses les uns des autres.

Guidée par Maeve, unique narratrice, le rythme du récit pourrait faire penser au manège d’une montagne russe qui monte et monte dans une lenteur qui agace autant qu’elle sait se faire aimer, sachant bien que, tout en haut du rail, le wagon atteindra le dernier clic qui abandonnera ses occupants à la vitesse folle du manège, orchestré au quart de tour.

Il s’agit donc plutôt d’un roman pour les cœurs jeunes, peu importe l’âge en fait, un auditoire avec une certaine ouverture devant les frontières sexuelles et les opportunités multiples qui peuvent s’offrir à non pas deux, mais trois individus, fusionnés, amalgamés pour le meilleur, le pire, mais surtout pour la découverte des possibles.

« Mon but n’est pas de choquer pour choquer, rappelle l’auteure, mais de provoquer des réflexions sur des relations humaines qu’on a l’habitude de juger en les condamnant de fait, ou pire, en les ignorant simplement. »

À sa sortie de la foire, Les fantômes fument en cachette est un roman urbain, une vieille voiture déglinguée en guise d’histoire, déambulant dans les rues de la Vieille Capitale, perdant des morceaux en chemin à la recherche du bon carrossier.

Les fantômes fument en cachette sortira le 27 février prochain en librairie et sera lancé au complexe Le Cercle le 24 février dès 17 h.

Les auteures vous invitent à vous procurer leur livre dans une librairie indépendante et vous rappellent que la fumée tue, même les fantômes.

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