Sersi (Gemma Chan) in Marvel Studios' ETERNALS. Photo courtesy of Marvel Studios. ©Marvel Studios 2021. All Rights Reserved.

Les Éternels : vertige cosmique

Denis Villeneuve a raison : les films Marvel sont fabriqués à partir du même moule. Ils sont formatés. Le réalisateur de Dune et de Blade Runner 2049 a aussi raison de dire que certains cinéastes peuvent malgré tout leur apporter un peu de couleurs. C’est le cas de la réalisatrice Chloé Zhao qui signe ici Éternels après son adulé Nomadland. Si l’on nous sert pour la énième fois une intrigue d’une simplicité qui équivaut au sujet-verbe-complément dans sa construction scénaristique, il n’en demeure pas moins que la proposition est, à mon sens, supérieure à Dune — et plus intéressante sur bien des aspects.

Par William Pépin, chef de pupitre aux arts

Titre original : Eternals | Réalisatrice : Chloé Zhao | Scénario : Chloé Zhao et Patrick Burleigh | Photographie : Ben Davis | Distribution : Gemma Chan, Richard Madden, Angelina Jolie, Kumail Nanjiani, Lia McHugh, Barry Keoghan, Brian Tyree Henry, Lauren Ridloff, Don Lee, Salma Hayek, Kit Harington

Je ne pousserai pas davantage la comparaison entre Éternels et Dune : développer en ce sens serait stérile et n’apporterait rien à un débat qui n’a déjà pas lieu d’être. Je ne détaillerai pas non plus l’intrigue du film d’une simplicité faussement complexe avec ses nombreux aller-retour temporels et sa quantité impressionnante de personnages qui n’a rien à envier à une saga à la Game of Thrones (coucou Kit Harington et Richard Madden). Je ne contredirai pas les (déplaisantes) critiques qui semblaient attendre une proposition tout autre que celle que leur offre ici Zhao. Il n’y a qu’un point que je désire aborder. Ce point, il me reste en tête, m’obsède, et me pousserait même, si mon portefeuille s’avérait plus indulgent, à un deuxième visionnement en salle. Ce point, c’est le vertige du gigantisme.

©Marvel Studios 2021

Oui, la musique n’est pas marquante, l’intrigue est poncée par des clichés et des retournements attendus. Oui, la patte de Chloé Zhao a du mal à sortir du lot marronnasse que nous offre les productions Marvel depuis des dizaines de films et oui, la tournure sérielle que prennent les blockbusters a de quoi irriter. Malgré tous ces défauts, je ne peux m’empêcher de voir en Éternels une lueur d’espoir quant à l’avenir des propositions cinématographiques de grand spectacle. Ça faisait longtemps, très longtemps même, que je n’avais pas ressenti un tel vertige devant un écran de cinéma — et je rappelle, au risque de m’attirer vos foudres, que j’ai vu Dune il y a quelques jours. Sans trop en dire, je crois que Chloé Zhao réussit ici à transmettre à l’image une sensation de gigantisme qui donne froid dans le dos. En adaptant l’univers de Jack Kirby au cinéma, c’est également un pan de l’imaginaire lovecraftien que la réalisatrice met en scène : j’aimerais y voir les prémices d’un cinéma qui pratiquerait l’horreur de l’incommensurabilité, du vertige cosmique.

©Marvel Studios 2021

Peut-être qu’avec ces impressions je donne raison à Martin Scorsese qui affirme que les films Marvel ne sont pas du cinéma, se rapprochant davantage de manèges de parcs d’attractions que de véritables propositions filmiques. Peut-être qu’il n’y a véritablement aucune place aux risques au sein de ces productions pharaoniques, même si je ne serais pas aussi prompt que lui à l’affirmer. Éternels, quoi que bien formaté et tout droit sorti d’une usine qui n’est pas prête de fermer boutique, fait tout de même un pas en avant : un pas vers le désir de laisser s’exprimer des réalisateur.trice.s de grand talent, qui peuvent, malgré l’ampleur du Marvel Cinematic Universe, apporter une vision singulière dans un ensemble homogène, si l’on admet bien sûr que cela ait du sens.

Ce n’est pas tout : derrière l’esthétisme, les effets spéciaux et les artifices se révèle un récit qui n’est certes pas des plus inédits, mais qui a le mérite de conjuguer une dizaine de personnages tout aussi attachants les uns que les autres dans une ode à l’humanité des plus émouvantes. Éternels a le mérite d’être beau, certes, mais ne se cloître pas sur lui-même telle une coquille vide : derrière le grand spectacle, Chloé Zhao raconte quelque chose. Pour du Marvel, ce n’est pas rien.

Crédits photo : Marvel Studios

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