Festival Plein(s) Écran(s) – Revue du 18 au 20 janvier 2022

Du 12 au 23 janvier se tiendra en ligne la sixième édition du Festival Plein(s) Écran(s). Le concept est simple : vous aurez l’occasion de visionner quatre courts-métrages par jour, ces derniers étant disponibles pendant 24h. C’est donc plus d’une quarantaine de films qui seront présentés durant le festival. Pour l’occasion, nous vous présenterons tous les courts-métrages proposés jusqu’à la fin de l’événement, que nous ponctuerons de nos réflexions. Fictions, documentaires, films d’animation… différentes visions du cinéma se conjugueront pour offrir une pluralité de propositions, où toustes pourront y trouver leur compte. Nous vous encourageons grandement à y jeter un coup d’œil : c’est un événement important, qui contribue à la démocratisation de l’art cinématographique.

Pour participer au Festival Plein(s) Écran(s), rien de plus simple : l’événement est gratuit et disponible à toustes. Vous n’avez qu’à vous rendre sur leur page Facebook ou Instagram. Sinon, sachez que les courts-métrages seront disponibles directement sur leur page web : https://pleinsecrans.com/

Par William Pépin, chef de pupitre aux arts

 

18 janvier : À la fois le poison et le remède

Frimas (20 minutes) – Coup de cœur

Réalisation : Marianne Farley | Distribution : H264 | Fiction

Synopsis : Dans un futur rapproché où l’avortement est maintenant recriminalisé, Kara est confrontée à une triste et brutale réalité. Malgré les dangers imminents auxquels elle s’expose, elle fait appel à une clinique d’avortement mobile illégale. C’est lorsqu’elle se retrouve dans les méandres de cette lugubre clinique qu’elle est confrontée aux répercussions de sa douloureuse décision.

Avis : J’ai lu quelques avis affirmant que Frimas est stérile, qu’il n’en fait pas assez. Je trouve au contraire que le court-métrage de Marianne Farley est parfaitement équilibré, qu’il va suffisamment loin dans l’horreur dystopique tout en sachant s’arrêter à temps pour ne pas nuire à son propos. Le film est d’ailleurs présélectionné dans la course aux Oscars et c’est parfaitement mérité : on a affaire à un haut niveau de maîtrise, et ce, à tous les niveaux. Tout ce que je nous souhaite, c’est que Frimas reste dans la catégorie fiction et ne traverse pas, d’ici quelques années, dans la catégorie documentaire.

Lointain (18 minutes)

Réalisation : Aziz Zoromba | Distribution : H264 | Documentaire

Synopsis : Après avoir été éloigné de sa famille pour son homosexualité, nous observons un jeune homme arabe sur quatre saisons et de loin alors qu’il navigue dans sa solitude – tout en essayant de renouer avec sa mère.

Avis : Que dire de Lointain, si ce n’est que la proposition d’Aziz Zoromba offre les plus belles performances de ce festival, les scènes les plus touchantes et les images les plus réfléchies de ces derniers jours? On comprend pourquoi le court-métrage patauge dans la catégorie Documentaire, tant ses dernières minutes sont criantes de vérité, d’une réalité douce-amère ouvrant la porte à la colère, au deuil, à l’acception et, enfin, à la lumière. Plus d’Aziz Zoromba, s’il-vous-plaît.

Pharmakon (14 minutes)

Réalisation : Jean-Martin Gagnon | Distribution : Stéphanie Demers | Fiction

Synopsis : Comme chaque hiver, les chums se retrouvent pour une fin de semaine saupoudrée de neige et de psychotropes. Une tradition nécessaire pour s’abandonner, s’émerveiller et faire confiance à l’inconnu.

Avis : Pharmakon nous entraîne dans une drôle d’hybridité sensorielle : c’est comme si nous étions à la fois sous l’emprise de psychotropes, en train de vivre la plus belle soirée de notre vie avec ces personnages, et complètement extérieure au groupe d’amis. Notre tête émerge de l’eau pour y replonger aussitôt. Jean-Martin Gagnon met en scène une soirée donnant lieu à des situations absurdes tout en évitant de tomber dans le piège des stoner movies : ce qui prime avec Pharmakon, ce n’est pas le poison de l’humour facile, mais le remède de la fraternité.

Et moi je roule (5 minutes)

Réalisation : Miguel Lambert | Distribution : Welcome Aboard | Fiction

Synopsis : Une escapade nocturne sur roues mène Louis à la rencontre d’une partenaire de fin de soirée.

Avis : Là, j’avoue, je n’ai pas tout compris. Si j’aime bien l’alchimie que créé Miguel Lambert entre l’onirisme des petites heures du matin et le réalisme de ce qu’il filme, je me demande ce qu’Et moi je roule veut nous dire, mis à part, peut-être, l’idée de nous faire ressentir cette impression d’engourdissement qui accompagne la fatigue des nuits blanches, ces heures ou l’enivrement amoureux est implacable, où le monde nous appartient. Je cherche peut-être trop loin : quoi qu’il en soit, je sors de cette expérience sur ma faim.

 

19 janvier : « Dans ma tête… dans une bulle. »

Au plaisir les ordures ! (17 minutes)

Réalisation : Romain Dumont | Distribution : H264 | Fiction

Synopsis : Pour Noël, trois éboueurs, Élie, Nino et Belz, ont la surprise d’être reçus à dîner à la maison du premier ministre et de la première dame. Ils s’y rendent, enthousiastes et candides, sans se douter qu’au menu, on leur réserve une suite pénible de désillusions et de manipulations. Au plaisir les ordures est une comédie dramatique aux allures de conte révolutionnaire, qui tente d’explorer la rencontre entre le mépris bien nappé de la classe politique et une soudaine prise de conscience de son peuple.

Avis : Deux puissances s’affrontent dans Au plaisir les ordures de Romain Dumont. Le réalisateur réussit à transposer à l’écran la froideur viscérale d’un conflit qui, plus que symbolique, témoigne d’une réalité que l’on met rarement en scène avec autant de maîtrise. Dumont ne se contente pas de tourner le couteau dans la plaie : il y enfonce ses pouces, fouille dans la chair et en retire toute la pourriture. J’adore ces scènes de malaises qui font frissonner jusqu’à la racine de la moelle épinière, où il en ressort un sentiment d’indignation, de crispation, de révolte. Quel plaisir.

Dieu@mail.com (11 minutes)

Réalisation : Roger Gariépy | Distribution : La Distributrice de films | Fiction

Synopsis : Réal Gendron est un vieil homme sans histoires. Il croit en Dieu; il croit en la camaraderie; il croit en la vie. Lorsqu’il recevra d’Afrique un courriel lui apprenant qu’il est l’unique héritier de la fortune colossale d’un inconnu, il y croira aussi…

Avis : La prémisse de Dieu@mail.com est intéressante : et si, pour une fois, je répondais à ces fameux courriels qui ont tout d’une fraude? Et si, finalement, tout était vrai, qu’en un clic j’obtenais des millions de dollars (américains) et, qu’en plus, recevoir une telle somme me permettait de venir en aide à mon prochain? Et si, ce qui est trop beau pour être vrai, se révèle finalement être… vrai? Vous l’aurez compris, ces questionnements constituent la charpente de ce court-métrage. Avec Dieu@mail.com, Roger Gariépy nous montre ce que croire signifie.

L’Enfant-Tempête (12 minutes)

Réalisation : Ines Guennaoui | Distribution : La Distributrice de films | Fiction

Synopsis : L’Enfant-Tempête est une incursion cauchemardesque dans l’esprit tourmenté d’une enfant de quatre ans. Yasmine et sa famille sont des réfugiés Algériens tout juste arrivés au Québec durant la tempête de verglas de 1998.

Avis : Visionner ce film avant d’aller dormir n’était peut-être pas l’idée du siècle. Si l’histoire de L’Enfant-Tempête n’est pas terrifiante en soi, il n’en demeure pas moins qu’Ines Guennaoui réussit à installer (en à peine 12 minutes) une ambiance glauque que l’on rencontre rarement, si ce n’est chez David Lynch, et encore. C’est la force de cette proposition : le réalisateur choisit de nous raconter son récit non pas par les yeux et les oreilles, mais par les viscères. Sans doute la meilleure expérience sensorielle de tout le festival.

Le silence a disparu (3 minutes)

Réalisation : Sarah Seené | Distribution : Vidéographe | Art expérimental

Synopsis : Ce film-autoportrait tourné en Super-8 illustre le chaos sensoriel provoqué par ce que l’on nomme les « acouphènes permanents », qui relèvent de la typologie des douleurs dites « fantômes », semblables à d’inépuisables vagues d’ondes sonores qu’il m’a fallu apprivoiser afin de définir un nouvel état du silence.

Avis : Le silence a disparu ne se décrit pas, il se vit. Le court-métrage fait d’ailleurs partie de la catégorie « impression(s) » du festival, qui consiste à diffuser les courts-métrages sur la page Instagram de l’événement. Au total, 8 films de moins de 5 minutes seront diffusés sur le réseau social. J’aime l’idée : si, pour certains, visionner des œuvres sur leur téléphone devrait être passible de la peine capitale, je crois que c’est une idée captivante, surtout si l’on veut réellement partager des œuvres, en discuter et améliorer l’accessibilité des productions artistiques indépendantes.

 

20 janvier : Deuils, invasions, deuils, lumière et deuils

In the Shadow of the Pines (8 minutes)

Réalisation : Anne Koizumi | Distribution : Indépendant | Animation

Synopsis : Court-métrage documentaire animé portant sur une relation père-fille difficile. S’appuyant sur des souvenirs d’enfance, la cinéaste explore son éducation avec son père immigrant japonais, alors concierge de son école primaire. Le film explore l’idée de la honte, comment elle peut nous façonner et nous définir, tout en cachant ce que nous pouvons vraiment devenir.

Avis : Anne Koizumi s’interroge et visite les racines de la honte familiale, montrant que le chemin d’où l’on vient est aussi louable qu’indélébile, mais surtout que le chemin où l’on va est encore à découvrir, indéterminé. Ce que je retiens d’In the Shadow of the Pines, c’est qu’il s’agit d’un film nous apprenant à dire « je t’aime » avant qu’il ne soit trop tard.

Les grandes claques (18 minutes)

Réalisation : Annie St-Pierre | Distribution : H264 | Fiction

Synopsis : 24 décembre 1983, 22h50; Julie et ses cousins ont mangé trop de sucré, le Père Noël est en retard et Denis, seul dans sa voiture, angoisse à l’idée de remettre les pieds dans la maison de son ex-belle-famille pour venir chercher ses enfants. Les grandes claques réunit père et fille dans un double coming of age aussi grinçant que poétique.

Avis : Noël n’aura jamais été aussi mélancolique. Les grandes claques, c’est le Père Fouettard qui cogne à ta porte, non pas pour voler tes cadeaux, mais pour voler ton sourire, ton cœur et tes larmes, parce que oui : le court-métrage d’Annie St-Pierre est si bien maîtrisé qu’une émotion n’attend pas l’autre, qu’au tournant d’une image unique une sensation remplace l’autre, dans un cocktail du temps des fêtes qui conjugue bonheur et malaise, tristesse et soulagement. Ici, à l’instar des guirlandes et de l’ange au-dessus du sapin, les enfants du divorce brillent de mille feux. Rien de surprenant à ce que le film soit présélectionné dans la course aux Oscars.

They’re here (12 minutes)

Réalisation : Sid Zanforlin | Distribution : Travelling | Fiction

Synopsis : Incapable de faire face à la mort de sa grand-mère, Sam devient convaincue que son corps est l’hôte d’un être extra-terrestre qui doit être retiré. Le problème, c’est que personne ne la croit. Plutôt, on soupçonne Sam d’essayer de tuer sa grand-mère.

Avis : They’re here, c’est comme si Invasion of the Body Snatchers faisait un bébé avec la nouvelle The Colour out of Space d’H.P. Lovecraft, et que ce bébé faisait un autre bébé avec Stranger Things. Le court-métrage de Sid Zanforlin est une œuvre somme dans le genre, évitant toutefois de traiter des thématiques déjà abordés mille et une fois auparavant. La preuve : le film se termine là où il devrait techniquement commencer, sachant s’arrêter au bon moment (je n’en dis pas plus). Si la relation entre la petite Samantha (Melia Charlotte Cressaty) et sa grand-mère Jude (Bronwen Mantel) n’est pas des plus touchantes, c’est parce que le scénario nous amène ailleurs, dans l’ambiguïté du deuil, du refus et de la mort. C’est une bonne chose.

La marche (4 minutes)

Réalisation : Yoakim Bélanger | Distribution : Travelling | Animation

Synopsis : Des femmes de tous âges émergent de l’ombre et marchent ensemble vers une source lumineuse. Guidées par leur instinct, elles devront se faire face et transcender leurs propres limites.

Avis : Des ombres, des silhouettes, des visages, un regard, du bruit, une lumière, puis, plus rien. La marche de Yoakim Bélanger fait partie de la sélection Impression(s) du Festival Plein(s) Écran(s), où les sens guident l’expérience cinématographique et où le réalisateur-animateur témoigne d’une vision du féminisme qui, certes déjà vue dans son propos, a le mérite d’être originale dans sa forme. Original n’est d’ailleurs peut-être pas le mot juste : le travail de Bélanger est soigné, rigoureux, juste.

Photos: Fournies par Plein(s) Écran(s)

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