Fire of Love – Le langage de l’amour

Le plus récent documentaire de la réalisatrice américaine Sara Dosa, Fire of Love, porte sur le couple de volcanologues français Katia et Maurice Krafft qui ont dédié leur carrière, jusqu’à leur mort en 1991, à l’étude des volcans. À partir de leurs images d’archives grandioses, d’extraits d’entrevues et de la narration lyrique de Miranda July, Dosa nous transporte dans la science et la poésie de leur amour brûlant.

Par Ève Nadeau, journaliste collaboratrice

Titre original : Fire of Love | Genre : Documentaire | Durée : 93 minutes | Réalisation et scénario: Sara Dosa | Distribution : Katia Krafft, Maurice Krafft, Miranda July (narration) | Production : Sara Dosa, Shane Boris, Ina Fichman

Il y a quelques semaines, j’ai regardé le film Stromboli de Roberto Rossellini, paru en 1950. Dans les dernières minutes, le personnage joué par Ingrid Bergman souhaite fuir son mariage et, par la même occasion, son foyer, son île. Pour ce faire, elle escalade le volcan Stromboli en pleine éruption, du haut duquel elle finit par s’endormir. Lorsqu’elle se réveille, le volcan, comme elle, est à nouveau calme. Elle le contemple et exclame, simplement : « Quel mystère, quelle beauté ». 
Plus récemment, par hasard, j’ai retrouvé ce mystère et cette beauté dans le documentaire de Sara Dosa. La réalisatrice emprunte, dans Fire of Love, une approche archivistique, c’est-à-dire que son œuvre est essentiellement constituée des archives vidéo qu’ont accumulées les volcanologues Katia et Maurice Krafft, des heures d’enregistrements, en plus de leurs milliers de photos. Je dirais même qu’elle est, à certains égards, expérimentale, d’un peu point de vue esthétique et narratif. En effet, j’ai aimé que le film mette de côté, par moment, le langage scientifique pour se concentrer sur le langage poétique et nostalgique des images alternant entre Katia et Maurice dans leur jeunesse, le magma infini qui remplit l’écran, quelques dessins animés et la voix-off de Miranda July qui narre le tout, comme si nous étions dans un long rêve. 
Le résultat: un film, visuellement, à couper le souffle. Les paysages donnés à voir semblent tout droit sorti d’un univers de science-fiction, comme si Christophe Nolan nous faisait découvrir une nouvelle planète de feu et de lave dans Interstellar (2014). Parfois, on a presque du mal à croire à la réalité des archives (c’est le cas, entre autres, lorsque Maurice décide de faire du canoë sur un lac d’acide). Évidemment, le film me fait penser à l’expression «jouer avec le feu» signifiant la prise de risques, la mise en danger, qui colle littéralement aux exploits de Katia et Maurice ayant parcouru les quatre coins du monde pour toujours se rapprocher un peu plus du feu, des volcans en activités, des coulées de lave qui filaient comme le temps, de 1966 à 1991, plus de vingt ans de découvertes géologiques.
Avant tout, outre son impact visuel, le film raconte une histoire d’amour entre deux humains ainsi qu’entre ces derniers et les volcans. July nous dit que Katia et Maurice se sont rencontrés en 1966, mais que nous avons très peu d’information à ce sujet. Leur amour, comme les volcans, est un mystère. Si le langage scientifique m’échappait en grande partie, j’en dirais de même pour celui de l’amour. Les deux ont perdu la vie dans l’éruption du mont Unzen au Japon, en 1991. Ensemble, ils sont mort.es en cultivant leur passion. Est-ce une tragédie amoureuse ? C’est ce vers quoi, à mon avis, tend le film. Leur histoire d’amour aurait toutefois gagné à être approfondie, documentée, pour que ladite tragédie, en conclusion, nous ébranle davantage dans notre visionnement.
Or, leur amour envers les volcans ne pourrait être plus transparent et enchanteur. July nous dit: «in this word, lived a fire, and in this fire, two lovers found a home». Cette phrase me fait penser aux dernières lignes du récent livre de Martine Delvaux, Pompières et pyromanes: «Que les flammes avalent tout ce qui détruit et que dans un lit de cendres on continue de tracer, encore et toujours, les contours de l’amour» (Delvaux, p. 173), celui que Katia et Maurice projettent, encore à ce jour, sur chaque volcan qui continue de rougir, même en leur absence.
Références
Martine Delvaux, Pompières et pyromanes, Montréal, Éditions Héliotrope, p. 173.
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