Simon Grondin et Dany Quine - Courtoisie L'Art en soi

L’Art en soi et la magie de la perception

Vous êtes dans un musée. Vous passez devant un Riopelle et vous en admirez les couleurs. Pendant que vous vous fascinez devant le bleu azur du ciel, votre cerveau analyse et décode l’œuvre pour y trouver ses repères.

Si la majorité des gens préfèrent les paysages aux portraits, ce n’est pas nécessairement parce qu’ils sont mordus de verdure. C’est plutôt parce qu’ils leur procurent une sensation de bien-être et qu’ils titillent un instinct de survie hérité de nos ancêtres qui vivaient en nature.

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Paul-Émile Borduas
Courtoisie MNBAQ

Si vous voyez une pieuvre, un visage ou un lapin dans la toile abstraite de Paul-Émie Borduas vous n’avez pas la berlue. C’est ce même instinct de survie qui pousse le regard à distinguer des formes connues dans les formes abstraites.

De la magie ? De la psychologie de la perception plutôt.

C’est ce qu’explorent Simon Grondin et Dany Quine, respectivement professeur de psychologie à l’Université Laval et enseignant en histoire de l’art au collégial, dans L’art en soi. Voir, être, appartenir, savoir.

L’ouvrage, paru le mois dernier aux Presses de l’UL, reprend l’essentiel d’une exposition présentée à la Villa Bagatelle l’automne dernier. Le mandat que la Ville de Québec leur a confié était d’aborder l’art en suivant « une approche inhabituelle » et inédite, c’est-à-dire en renversant les rôles, se souvient Dany Quine. Plutôt que d’en apprendre sur les artistes exposés, les visiteurs en ont appris sur leur rapport à l’art grâce aux œuvres choisies.

Dans le livre comme dans l’exposition, chaque tableau ou sculpture est associé à un verbe : voir, être, appartenir, savoir. Ces derniers « renvoient aux quatre univers qui peuvent avoir une incidence sur la perception et l’appréciation d’œuvres d’art », explique l’historien de l’art et ancien critique d’art au Soleil.

Peu importe donc que votre regard se pose sur le David de Michel-Ange ou sur une nature morte peinte par votre tante. « Il y a, à l’intérieur de nous, des mécanismes qui fonctionnent d’une certaine manière », comme des connaissances, des valeurs ou des émotions et qui influencent la perception, commente Simon Grondin qui enseigne la psychologie à l’Université Laval depuis les années 1980.

Trouver des œuvres

De l’avis de M. Grondin, le choix des œuvres « a été la partie la plus difficile, la plus périlleuse de l’aventure ». Contrairement à une exposition régulière, il fallait que les deux commissaires trouvent des œuvres québécoises des XIXe et XXe siècles qui illustrent des phénomènes particuliers.

« On faisait des recherches, notamment dans les banques d’œuvres de musées comme le MNBAQ et auprès de collectionneurs. On envoyait une ligne à l’eau et parfois ça fonctionnait, parfois non. Il fallait alors se rabattre sur une autre œuvre », relate Dany Quine.

La seconde approche que le duo a préconisée est de partir d’œuvres qu’ils avaient déjà et de se demander « ce qu’on pouvait leur faire dire par rapport aux quatre grands facteurs abordés », ajoute-t-il.

Art Itself ?

En publiant le livre, les deux commissaires désirent laisser des traces de leurs démarches afin que « le concept ne meur pas et qu’il soit récupéré par un musée quelque part », confie Simon Grondin.

Un souhait qui ne restera sans doute pas lettre morte puisque la maison d’édition américaine Springer a déjà fait part de son intérêt de traduire le court ouvrage dans la langue de Shakespeare. « Ça veut dire que ce livre pourrait être diffusé partout dans le monde à partir d’un corpus essentiellement québécois, ce qui permettrait de faire connaître les artistes d’ici », se réjouit Dany Quine.

Les quatre facteurs influençant la perception d’une œuvre

Voir : « Mécanismes biologiques en jeu dans la perception visuelle »

Être : « Phénomènes d’ordre affectif ou émotionne; et leurs répercussions sur nos réactions et impressions »

Savoir : « Incidence de nos connaissances personnelles sur l’appréciation »

Appartenir : « Rôle des facteurs culturels dans notre appréhension de l’œuvre »

L’Art en soi, p. XIII

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