Le Pillowman aux Treize : Raconter le désespoir

Marquant les limites de la scène, de grosses toiles transparentes et tristement tachées, convaincantes imitations de murs défraîchis dont les yeux aveugles ont déjà vu trop d’horreurs. Accrochées un peu partout, couvrant des parois entières, des pages et des pages couvertes de mots. Dans le coin droit, assis derrière une table nue, un écrivain affolé. À ses côtés, menaçants, deux policiers.

Il suffit d’un regard pour ressentir l’atmosphère angoissante du Pillowman, une pièce de Martin McDonagh mise en scène avec une redoutable efficacité par Nicolas Drolet. Dès l’entame, le malaise croît lentement : dans le sous-sol de quelque sombre prison, dans un pays que l’on devine toujours étouffé par un indestructible rideau de fer, un homme (Hubert Harvey) est interrogé. Il s’appelle Katurian. Ouvrier dans un abattoir, il est aussi écrivain ; il craint l’enquête politique et la découverte d’un message séditieux et bien involontaire dans ses écrits.

Les deux policiers qui lui font face n’ont rien de bien engageant. L’un, détective mal dégrossi (René Cossette, convaincant en sbire plutôt obtus), oscille entre la bonhomie et la brutalité. L’autre (Denis Panneton, crédible en tortionnaire torturé) respire la violence et n’hésite pas à en faire usage.

Bien vite, alors que les questions s’enchaînent, le crime idéologique semble écarté : si les geôliers de Katurian reviennent sans cesse à ses contes inquiétants, c’est que certains s’apparentent étrangement à d’horribles meurtres commis sur des enfants. Les histoires sont souvent sordides : ici, une jeune fille meurt étouffée par des « hommes-pommes » tranchants comme des rasoirs ; là, un enfant se fait trancher les orteils par l’inquiétant inconnu avec qui il a partagé son repas. Souvent, l’action s’interrompt alors que le prisonnier se fait conteur, et nous entraîne dans son univers sombre et glauque où règne le mystérieux Pillowman, terrible symbole d’une terrible histoire.

Question après question, conte après conte, la vie de Katurian nous est lentement dévoilée, tragiquement enlacée à celle de son frère aîné (Julien Saint-Georges, émouvant malgré un rôle difficile et parfois caricatural), déficient lui aussi arrêté qui finira par partager la cellule de son cadet. S’ensuivra, au cœur de la pièce, une joute verbale étrange, prélude à un épilogue moins sombre qu’on aurait pu le penser.

Si l’intrigue ne surprend guère, le texte de McDonagh, parfois porteur d’une belle poésie, vaut surtout par ses atmosphères, admirablement bien rendues. La tension, qui pourrait être oppressante, est souvent évacuée par un recours parfois facile à l’humour qui occasionne quelques ruptures de ton. Les plongées fréquentes dans l’univers du conte, marquées par un jeu d’éclairage, viennent parfois briser le rythme d’une pièce de plus de 2h30, et la langue à la Charles Perrault qui accompagne ces digressions jure durement avec la traduction très « québécoise » et réaliste de Fanny Britt.

Pourtant, ces défauts ne suffisent pas à plomber une production de qualité, livrée par des acteurs aussi convaincus que convaincants malgré quelques bafouillages pressés. Dans le rôle principal, Hubert Harvey, d’une rare intensité, est tout simplement remarquable.

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