Photo : Courtoisie, ONF

L’édifice du souvenir de Jean-Claude Labrecque

Le documentaire Labrecque, une caméra pour la mémoire, dont la forme ravit autant que le propos, rend compte de l’œuvre de Jean-Claude Labrecque, monument du cinéma québécois. Impact Campus s’est entretenu avec le réalisateur et directeur photo du documentaire, Michel La Veaux. 

C’est le tour de force 60 cycles, inclus au cursus du programme de cinéma au collège Ahuntsic, qui aurait instillé chez La Veaux l’admiration qu’il voue à Labrecque. Puis sa propre vocation a été scellée par Le chat dans le sac de Gilles Groulx, dont Labrecque assurait la direction photo. La rencontre avec l’homme s’est matérialisée alors que La Veaux était stagiaire à l’ONF. En tout, il aura collaboré à trois de ses projets. 

Faire des films qui parlent de nous

Labrecque, une caméra pour la mémoire révèle un homme sûr de lui, guidé par des intuitions impérieuses – à un point tel qu’elles auraient occulté une certaine part de risques à des moments de sa carrière. Parmi ces intuitions, il y avait celle de demeurer ici pour y faire des films « qui parlent de nous ». Labrecque a ainsi renoncé à des projets d’une envergure autrement plus grande, cherchant plutôt à « posséder les événements importants du Québec », selon sa propre formule. Son souci d’archiver était immanent. Pour Michel La Veaux, le fait que Labrecque et Brault, pourvus d’une virtuosité sur le plan technique, étaient de chez lui a beaucoup stimulé sa propre inspiration. Ces cinéastes ne voulaient pas « devenir Américains », et n’avaient par ailleurs rien à envier aux directeurs photo français, « accotant », dit-il, les Cottard et consorts. Deux « héros » venaient ainsi de son propre pays. 

Cette notion de pays, Jean-Claude Labrecque l’associe d’ailleurs à chaque visage sur lequel sa caméra s’est braquée : comme il le confie à La Veaux dans le film, « tourner un gros plan d’un visage », c’est « tourner un pays ». Il aura exploré les confins, notamment, de celui de Marie Uguay, de Pierre Bourgault et de Bernard Landry plus récemment ; ceux de joueurs de hockey dans Un jeu si simple ; ceux d’athlètes, entiers dans leur pratique sportive, se fracassant contre l’échec à gravir les marches du podium, dans On s’pratique… c’est pour les Olympiques. Le choix des œuvres visant à dresser une rétrospective de la carrière de Labrecque s’est d’ailleurs effectué selon l’intuition de La Veaux. Son dévolu a été jeté, en outre, sur Mémoire en fête, La visite du général de Gaule au Québec, Les smattes et La nuit de la poésie, dans l’optique de « jeter un regard complet sur l’œuvre de Labrecque ». 

La Veaux estime avoir atteint les objectifs qu’il s’était fixés par rapport à son documentaire. Il est effectivement parvenu à « faire quelque chose qui soit cinématographique », par le truchement de plans soignés, dont celui, sidérant, effectué au stade olympique. Labrecque se retrouve effectivement à l’endroit précis où il a tourné son propre documentaire il y a 40 ans, muni de la même caméra.  

Un cinéma québécois « bouillant » 

La Veaux considère que « si le cinéma québécois est si bouillant aujourd’hui, c’est grâce aux bases jetées par d’illustres prédécesseurs » dont Brault, Groulx, Carle et Labrecque lui-même. Il jette un regard optimiste sur le milieu actuel du cinéma québécois. « Le cinéma d’auteur cohabite avec d’autres films plus “large public”, dotant le Québec d’une variété très saine ». La Veaux salue le fait que certains « tournent des histoires dans leur région, et n’en sont pas moins universels ». À cet effet, les films de Sébastien Pilote, sur lesquels il a lui-même assuré la direction photo, sont probants. « En faisant du cinéma ici, c’est là qu’on devient international ». 

Cette spécificité québécoise, La Veaux estime qu’elle tient également dans le rapport de la caméra avec les gens qu’elle toise. Un film, pour ainsi dire, va au-delà de la technique : « Michel Brault disait qu’un film, c’est 50% de technique, 50% d’écoute, d’où la distance jaugée par le caméraman entre sa caméra et la personne sur laquelle elle est braquée ». Si Labrecque se décrivait comme un « taiseux » à une certaine époque, La Veaux croit qu’un « switch » a eu lieu : à un point de sa carrière, il a ainsi pivoté des « sparages techniques » à l’humanisme, aux films qui « écoutent ». D’ailleurs, ce qui a le plus frappé Le Veaux chez l’homme, c’est sa « curiosité, sa conscience de la chance qu’il a de faire du cinéma, sa reconnaissance ». Labrecque est demeuré habité par une profonde humilité : celle d’un p’tit gars de la 16e rue à Limoilou, encore hébété de sa bonne fortune, d’ailleurs traduite par le malaise auquel il semble en proie lorsque c’est lui qui est devant la caméra.  

À tous ces êtres auxquels Labrecque a prêté une oreille attentive et dont la lentille a fouillé le visage, le pays, il vouait ainsi un amour immense. Tel en est-il de celui de Marie Uguay dans son documentaire éponyme. Du propre aveu de cette poète, emportée trop jeune par la maladie, le temps était une menace. Or, le documentaire de Labrecque a insufflé « une sorte de sensation d’éternité » à sa mémoire : le destin et les propos de Marie Uguay bouleversent, faisant « entrer dans ce matin dissemblable des autres, pour voir les choses autrement », comme elle l’évoquait elle-même. Du point de vue de Michel La Veaux, cette œuvre, d’une résonnance ample, réalisée « à hauteur d’homme » – ou, à plus juste titre, de femme – pour emprunter l’expression de Labrecque, est sans conteste l’une des plus grandes au sein de son legs.  

Labrecque, une caméra pour la mémoire est à l’affiche au cinéma Cartier depuis vendredi.

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