Photo : Élia Barbotin

Mitchell, Riopelle et la peinture : une passion incommensurable

Du 12 octobre 2017 au 7 janvier 2018, le Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ) fait se rencontrer pour la première fois au sein d’une exposition deux piliers de l’art moderne, les peintres Joan Mitchell et Jean-Paul Riopelle. 

La conférence du mercredi 18 octobre passé, animée par le commissaire de l’exposition Mitchell Riopelle, un couple dans la démesure, Michel Martin, a su éveiller la curiosité des amateurs d’art sur la relation qu’ont entretenue les deux peintres et l’impact que cela a produit sur leurs œuvres. En effet, Jean-Paul Riopelle est d’ores et déjà un monument au MNBAQ, si bien qu’on ne peut emprunter le passage Riopelle sans s’extasier devant le déploiement de l’Hommage à Rosa Luxembourg.

Joan Mitchell est aussi, de son côté, réputée pour ses œuvres ; le Grand prix des arts de la Ville de Paris qu’elle a obtenu en 1991 en témoigne. Cependant, savait-on ce que leurs peintures respectives dévoilaient de leur relation ? C’est ce que la conférence Mitchell | Riopelle, entre point de rencontre et point de fuite a mis en lumière. 

La rencontre de deux forts tempéraments

Cette approche intimiste de la vie des deux peintres s’est amorcée par un bref retour sur leur parcours respectif pré-rencontre. Dans les années 1920, Mitchell venait d’une famille aisée de Chicago et Riopelle d’un milieu plus modeste à Montréal. Chacun s’est découvert très vite une passion pour l’art et a intégré un groupe d’artistes peintres, dans les années 1950. C’est en 1955 que Mitchell et Riopelle se rencontrent à Paris, par le biais d’un ami commun. Le coup de foudre est instantané : ils seront amants pendant près de 25 ans. Il s’agit là de l’union de deux personnalités à fort tempérament qui partagent une même passion pour la peinture, et dont les œuvres ne cesseront de témoigner de leur évolution commune à travers leur idylle.  

« J’essaie d’éliminer les clichés, le matériel étranger. J’essaie de rendre la peinture exacte. Ma peinture n’est pas une allégorie, ce n’est pas une histoire. Elle est plutôt comme un poème. » Ces paroles de Joan Mitchell ne font que renforcer l’idée que son travail est sensible et inéluctablement teinté de sa relation avec Riopelle qui se terminera de façon dramatique, raison pour laquelle une telle exposition aurait été impossible lors du vivant des deux peintres. D’un côté comme de l’autre, on retrouve un peu de chacun d’eux dans leurs œuvres, comme s’ils s’étaient imprégnés l’un de l’autre. Au fil de leur relation, on ne peut ignorer que Mitchell et Riopelle ont dû partager de nombreuses discussions sur la peinture, notamment lorsqu’ils ont emménagé ensemble dans un atelier à Paris dans les années 1960, ce qui a certainement influencé leurs techniques mutuelles.  

Des périodes difficiles et une fin douloureuse

Il s’en suit plus tard une période sombre pour le couple lorsque Mitchell perd ses parents et son ami, le poète Frank O’Hara. Une période difficile qui se lit dans la noirceur des peintures de l’artiste. Vers fin 1967, le couple Mitchell/Riopelle emménage dans une propriété au nom de Mitchell, non loin de l’ancienne résidence de Claude Monet à Vétheuil. Ils retrouvent une forme de paix, et Mitchell trouve de la quiétude dans l’immense jardin de la propriété qui transparaît dans sa peinture, dans lequel elle se crée un rapport particulier à la nature.

Dès 1975, Riopelle se sent être appelé par ses racines et retourne au Canada pour un temps, durant lequel il fera la navette entre Montréal et l’Ile-de-France. Bien que Mitchell se soit aussi rendue plusieurs fois à Montréal durant cette période, un sentiment de séparation apparaît dans le couple.

C’est finalement à la fin des années 1970 que leur rupture s’amorce, alors que Mitchell accueille de jeunes artistes dans sa propriété de Vétheuil afin de partager des discussions artistiques pour se divertir. C’est pour l’une d’elles que Riopelle finit par quitter Mitchell, à son grand désespoir. Après cette rupture, Mitchell cueille l’ironie en peignant La vie en rose, référence à la vie qu’elle avait rêvé de vivre aux côtés de Riopelle et qui avait lamentablement échoué.  

Les deux artistes se sont revus plusieurs années après leur séparation de façon cordiale. Le dernier tableau de Mitchell prend la forme d’une espèce de végétation qui s’élève vers le haut, comme si elle prenait son envol. Après son décès, Riopelle peint l’Hommage à Rosa Luxembourg. On y retrouve de nombreux symboles faisant référence à son union avec Mitchell, ce qui donne lieu à des théories selon lesquelles ce tableau serait un hymne à leur passion. 

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