Photo : Courtoisie Max Rheault

Œuvre inadaptable? Pas pour Simon Lavoie!

Qui disait que La petite fille qui aimait trop les allumettes, œuvre de Gaétan Soucy, était impossible à adapter? Eh bien, Simon Lavoie vient de leur prouver, à tous, le contraire.  

Le scénariste et réalisateur avait été approché par Gaétan Soucy, peu de temps avant son décès pour réaliser l’œuvre. Conscient que le roman ne pouvait pas être transposé littéralement, Soucy comprenait la difficulté de la transposition, mais voulait travailler les dialogues.

Malheureusement, mais la vie en a décidé autrement. Lavoie, qui rêvait déjà depuis des années de l’adapter, lui qui avait lu l’œuvre au cégep, a poursuivi le projet et nous livre aujourd’hui une adaptation libre qui est portée à l’écran depuis le 3 novembre 2017.  

« Ne pas en faire une adaptation littérale » 

Un des défis auquel Lavoie a eu à faire face pour son cinquième long métrage est la transposition du langage très poétique de Gaétan Soucy. Le réalisateur avait démontré sa capacité à créer son propre univers, avec l’adaptation de l’ouvrage Le torrent d’Anne Hébert en 2012. Il récidive cette fois-ci et réussit encore à libérer l’âme de l’œuvre de Soucy.

Il s’est d’ailleurs confié à Jean-Baptiste Hervé du journal Voir à ce propos: « Il ne fallait pas en faire une adaptation littérale, puisque c’est un roman d’une grande dextérité langagière, cela aurait été laborieux. J’ai donc décidé d’écrire mon adaptation selon mes premières impressions sur le livre: un univers poétique trouble mâtiné d’inceste, de violence, de religion et d’éradication de la féminité. »

La transposition narrative de l’œuvre, chamboulée par le médium, laisse place à l’image qui dit, sans paroles, souvent, tout ce qu’il faut pour que l’auditeur soit en mesure de tisser le fil de l’histoire. 

Place à l’intrigue 

D’entrée de jeu, la table est mise. L’absence de couleur donne le ton à l’œuvre et permet de laisser les silences s’installer. Le spectateur a l’impression d’être caché derrière une porte close et d’observer à la dérobée par le trou d’une serrure, la famille Soissons. L’époque indéfini où prend place l’intrigue laisse quand même quelques points de repère qui permettent de la situer dans les années 1920- 1930 où l’obscurantisme religieux a mainmise sur les croyants.  

La première scène plonge rapidement le spectateur dans ce qui semble être un univers clos. Déjà prisonnier, celui-ci ne peut plus détourner le regard; comme un voyeur, il espère la suite. Un drame se cache nécessairement derrière toute cette mise en scène. Un à un, les personnages s’imposent et le spectateur fait la connaissance de deux adolescents campés par Marine Johnson et Antoine L’Écuyer. La première ignore être une jeune fille.

Sa féminité est complètement niée par le père (Jean-François Casabonne) qui appelle d’ailleurs ses deux enfants fils. Élevés en autarcie par leur père, religieux à l’excès, ils sont prisonniers du manoir familial situé au milieu d’une forêt, loin du village. Confrontés très tôt au suicide de ce dernier, alcoolique et dépressif, ils sont laissés à eux-mêmes et découvrent peu à peu ce qui les entoure.  

Les allers-retours dans le passé qui s’invite par le biais de souvenirs refoulés donnent le ton aux prises de décisions de la jeune fille. Celle-ci, prisonnière de sa réalité, tente peu à peu de s’émanciper, de spectatrice elle devient agissante. Dès lors, le couple, frère, sœur, évoluera de manière diamétralement opposée, chacun trouvant un confort dans la réalité qu’il choisira d’habiter. 

Soucy serait fier du résultat 

La jeune actrice de 19 ans, Marine Johnson, qui campe la jeune fille, porte le film sur ses frêles épaules avec aplomb et livre une performance époustouflante! Elle s’est confiée à Adrien Roche de Vinyles Collectifs sur son rapport avec son personnage. Elle mentionne que : « Ça fait du bien de pouvoir jouer un personnage qui porte un aussi gros poids sur ses épaules. Je suis vraiment honorée d’avoir pu jouer ça puisque ce n’est pas un rôle que l’on retrouve n’importe où. » Parions que nous la reverrons dans d’autres longs métrages, elle ne manquera pas de travail. 

L’œuvre papier de Soucy, qui a remporté de nombreux prix a été traduite dans une vingtaine de langues étrangères. Le film s’inscrit dans la même lignée, et est disponible sous-titré en anglais. Il a déjà reçu une mention honorable du jury pour le prix du Meilleur film canadien au Toronto International Film Festival (TIFF) et est en compétition officielle au Los Cabos Film Festival au Mexique. 

Bien que Soucy n’ait pas eu le temps de voir porter son œuvre à l’écran, parions qu’il serait très fier du résultat. Il faut le dire, Lavoie a réussi un sacré défi en adaptant ce roman qui était, selon certains, impossible à adapter. 

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