Crédits photo: Nicola-Frank Vachon

Une bête sur la lune : quotidien d’un couple de réfugiés brisés par un génocide

La nouvelle production de la Bordée, Une bête sur la Luneraconte la vie d’un jeune couple de réfugiés arméniens débarqués aux États-Unis dans le but d’échapper à leur passé. Si la pièce traite du génocide arménien de 1915-1917, celui-ci demeure en filigrane : l’essentiel de l’action s’articule autour des problèmes communicationnels du couple. On y aborde certes des thèmes humanistes avec brio, mais la production n’envoûte pas autant que l’on aurait voulu. La pièce est présentée jusqu’au 24 mars prochain.

On doit le texte d’Une bête sur la lune au dramaturge états-unien Richard Kalinosky, lequel s’est inspiré de l’histoire de la famille de sa femme arménienne pour créer son histoire. Lorsque la pièce a été produite pour la première fois, au milieu des années 1990, la critique avait alors été dithyrambique; depuis ce temps, de nombreuses adaptations ont vu le jour, notamment en Suisse, au Royaume-Uni et en France. 

C’est maintenant le tour de la metteuse en scène Amélie Bergeron (Jusqu’à la lie, Premier Acte, 2012) de donner un nouveau souffle à l’univers de Kalinosky, en s’appuyant sur une traduction de Daniel Loayza. Les attentes étaient élevées pour la première adaptation québécoise compte tenu du succès qu’ont connu les autres moutures; ces attentes sont en partie comblées.  

Une mise en scène efficace et bien pensée  

Une force de l’adaptation de Bergeron réside dans la capacité à représenter le malaise profond dans lequel sont plongés les deux réfugiés. D’ailleurs, le décor, une spacieuse salle à manger du début de l’autre siècle surplombée d’un balcon où un narrateur vient apporter quelques explications, séduit immédiatement l’œil. L’habile jeu de lumière et la musique, subtile et toujours bien intégrée, appuient le propos : ils aident à dévoiler la profonde distance entre les deux jeunes mariés qui ne se seraient pas unis s’ils ne s’étaient pas frottés à des événements aussi tragiques.  

Ce sont les dialogues qui posent un peu problème : on tend à se perdre dans des répliques parfois répétitives et creuses liées aux problèmes de communication du couple. Ces problèmes, récurrents tout au long de la pièce, sont exacerbés par l’incapacité de Seta à tomber enceinte. Or, Aram croit dur comme fer que remplacer la famille qu’il a perdue en créant une nouvelle lignée lui permettra de tirer un trait sur les atrocités vécues. Confronté à l’échec de cette quête, Aram s’enferme dans le mutisme, l’ordre et la religion. Seta, d’emblée pétillante et résiliente, perd quant à elle graduellement sa joie de vivre. Elle change en fait du tout au tout à force de passer des années en compagnie d’un mari qui ne parvient pas à communiquer son désarroi lié au génocide qui le hante. C’est alors qu’un attachant et énergique jeune orphelin chamboule la vie des deux protagonistes en apportant un vent de fraîcheur qui laisse présager un futur plus reluisant.  

Le jeu à point des comédiens pour pallier quelques lacunes 

La pièce est donc un peu trop « dite ». Pourtant, dans les moments plus silencieux, le propos est particulièrement bien servi : une scène bouleversante, au cours de laquelle Seta tombe à son tour dans le mutisme après une dispute particulièrement éprouvante, parvient à transmettre mieux que jamais l’ambiance souhaitée. Tout est alors mis à profit pour faire comprendre les univers irréconciliables des personnages : la disposition des acteurs et leurs expressions faciales, la musique, l’éclairage, puis les longs silences chargés de rancœur.  

Le jeu des acteurs mérite par ailleurs d’être souligné. Polyvalents, ils savent s’adapter sans le moindre problème aux changements de ton de la pièce et insuffler à la fois lourdeur, légèreté et humour aux personnages qu’ils incarnent. Malgré les réserves évoquées, la pièce vaut tout de même la peine d’être vue, ne serait-ce que pour les thèmes très à propos d’exil, de résilience et de deuil. La belle mise en scène et le jeu des comédiens sont également des atouts indéniables ajoutés à l’univers de Kalinosky.

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