Remonter la chaîne du lait, une « run » à la fois

Un verre de lait qu’on savoure pour étancher sa soif après un dessert trop riche. Les crottes de fromage au bruit si caractéristique qu’on retrouve dans n’importe quelle poutine qui se respecte. Tous ces produits laitiers, omniprésents dans notre alimentation, camouflent une réalité très difficile et bien peu connue, celle des producteurs laitiers du Québec.

Par Félix Étienne, directeur de l’information

Texte : Justin Laramée | Mise en scène : Justin Laramée et Olivier Normand | Coproduction avec VA Arts vivants | Assistance à la mise en scène : Jacinthe Nepveu | Conception sonore : Benoît Côté | Scénographie et costumes : Marie-Renée Bourget-Harvey | Assistance aux costumes : Guylaine Petitclerc | Éclairage : Nyco Desmeules | Distribution : Justin Laramée et Benoît Côté

En initiant son projet de théâtre documentaire Run de lait, Justin Laramée partageait la même méconnaissance – certainement partagée par des millions de Québécois.e.s – que j’ai exprimée en préambule vis-à-vis le revers sombre des conditions de vie des travailleurs et travailleuses de ce secteur, qui est le premier en importance au sein de la production agricole du Québec. Pendant plusieurs années, Justin Laramée a parcouru des milliers de kilomètres et sillonné le terroir québécois pour se porter à la rencontre des différents acteur.ice.s de ce vaste milieu.

Le Canada – dont le Québec concentre à lui seul près de 40 % de la production laitière nationale – constitue en effet le seul pays dont la production laitière est encore régie par un système de gestion de l’offre dont la logique n’est pas une économie de marché, mais bien une économie planifiée. Le sujet a fréquemment défrayé les manchettes dans les dernières années, particulièrement dans la foulée de la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) imposée par les États-Unis qui a entraîné la légalisation d’une brèche historique au sein du système.

C’est d’ailleurs en assistant à une manifestation de producteurs laitiers exténués et en colère que Justin Laramée a lancé sa démarche artistique. De fil en aiguille, le metteur en scène va à la rencontre de producteurs laitiers, petits comme gros, d’industriels du secteur de la transformation des produits laitiers, et même des ministres de l’Agriculture des gouvernements canadien et québécois, afin de démystifier les rouages de ce vaste réseau dont plusieurs méconnaissent l’existence. Et comme on l’apprend au fil de la pièce, c’est une histoire faite d’héritages familiaux et de patrimoine, mais aussi de grave précarité financière, de travail acharné, de détresse psychologique et même, hélas, de suicides…

Avec Run de lait, Justin Laramée nous présente, dans une mise en scène sobre, mais très efficacement accompagnée par la composition sonore de Benoît Côté, les multiples entrevues qu’il a réalisées auprès de ces nombreuses personnes. Ces dernières lui expliquent la décomposition lente d’un secteur, d’un gagne-pain qui a marqué profondément le Québec – si bien qu’on le voit même dans les paysages de nos campagnes et de leurs omniprésentes fermes laitières – mais aujourd’hui mis à mal par l’expansion effrénée d’un capitalisme sans âme et sans frontières. Le metteur en scène joue habilement avec les extraits sonores de ses entrevues pour les présenter à la manière d’un dialogue entre lui et les personnes qu’il a rencontrées. Le travail est fort réussi, on devine aisément la présence de ces dernières, même par hauts-parleurs interposés.

Si vous n’avez pas encore eu la chance de visionner la pièce, courez réserver votre billet au Théâtre le Trident où la production sera présentée jusqu’au 26 mars prochain.

© Crédits photo : Théâtre du Trident

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