Solo, une histoire de Star Wars : sur le pilote automatique

De tous les personnages de Star Wars qui n’ont pas le privilège de porter le sabre laser, il est sans contredit le plus emblématique. Han Solo, meilleur pilote de la galaxie (dixit lui-même), est devenu en quatre films et des poussières une véritable icône de la culture populaire. Il a vécu et il est mort (des mains de son ingrat de fils, Kylo Ren, qu’on déteste au moins autant qu’on adorait son père) en héros rebelle, par son attitude comme son allégeance. Une légende, Solo. Et comme Disney n’aime rien tant que briser les légendes en les affadissant et en les surexploitant, voilà que Lucasfilm, atteint du syndrome Marvel, nous offre l’histoire de ses origines.

On l’a connu dans un bar enfumé de Tatooine, en pleine discussion avec le bientôt feu Greedo, bibitte bleue pas trop commode mais à la gâchette un peu lente. À l’époque, Harrison Ford lui prêtait sa faconde, son air baveux et son attitude de séducteur-rebelle-avec-un-bon-fond. On l’a revu il y a deux ans, toujours joué par l’interprète d’Indy, un peu plus grognon mais encore cinglant malgré les cheveux blancs. On l’a pleuré (beaucoup) après son baroud d’honneur, qui constituait sans aucun doute l’un des attraits majeurs de l’autrement très fade Réveil de la Force.

Dans Solo, on le retrouve bien jeune, sous les traits du presque inconnu Alden Ehrenreich, dont la feuille de route était jusqu’alors bien mince, hormis un rôle principal dans le malheureusement très oubliable Ave César ! des frères Coen. Casting peu convaincant, reçu avec une bonne dose de mauvaise foi par les fans et la planète cinéma : Ford, on l’oublie, était lui aussi un acteur de troisième zone – au mieux – avant de prendre les commandes du Faucon Millenium. Il faut laisser la chance au coureur.

Celui-là, de coureur, partait pourtant avec quelques bonnes entorses. On connaît la genèse du projet : Chris Lord et Phil Miller, les joyeux trublions derrière The Lego Movie et 21 Jump Street, devaient au départ réaliser le long-métrage. Ils ont commencé le travail, mais on ne les a pas laissé finir : Kathleen Kennedy, la toute-puissante productrice de Lucasfilm, les a cavalièrement congédiés l’été dernier sous prétexte de « divergences artistiques » (ce qui est fort drôle, la position « artistique » de Madame Kennedy se comparant désavantageusement à celle d’un gestionnaire d’usines de saucisses). À leur place, les producteurs ont catapulté Ron Howard, réalisateur honnête et efficace, mais à la griffe peu affirmée (on lui doit tout de même des films de très belle tenue, dont Apollo 13, A Beautiful Mind, Frost/Nixon et Rush). Bref : tout ça augurait mal, très mal. I have a bad feeling about this, aurait dit un certain contrebandier…

Éminemment oubliable

Qu’en est-il à l’arrivée ? Pas grand-chose, à vrai dire. Ce deuxième spin-off de la série n’a ni l’envergure, ni la force, ni la richesse scénaristique de l’excellent Rogue One de Gareth Edwards. Solo est un produit générique, inconséquent, éminemment oubliable, qui ne réinvente rien, ne construit rien et ne détruit rien – ce qui suffit presque à nous le rendre sympathique après l’horriblissime et hérétique Les Derniers Jedis, sorti en décembre dernier.

Au chapitre des bonnes surprises, force est de constater qu’Alden Ehrenreich fait un très bon Solo, crédible et attachant : son interprétation respecte presque en tous points les traits canoniques du personnage (comprendre : un mauvais garçon à la grande gueule, mais au cœur d’or). Sans avoir le charisme d’Harrison Ford, le jeune acteur californien sait tirer son épingle du jeu. Pour autant, le Han Solo imaginé par les scénaristes Jon et Lawrence Kasdan semble bien vain : il apparaît pour ainsi dire déjà tout fait dès l’introduction du long-métrage. Le Solo de la dernière scène est, à peu de chose près, le même que celui de la première : c’est dire la pauvreté de l’arc dramatique du personnage et l’inutilité presque complète du film. Ah, elle est belle, l’histoire des origines !

Alors oui, on rencontre Han sur Corellia, alors qu’il trime avec sa douce Qi’ra (Emilia Clarke, la Daenerys de Game of Thrones, convaincante) pour l’un des cartels régnant sur cette déprimante planète-chantier. Oui, on apprend comment il s’est engagé dans la marine impériale pour fuir sa triste destinée en laissant derrière lui sa tendre moitié, qu’il jure toutefois de délivrer de sa prison. Oui, on découvre comment il est devenu contrebandier et pilote, comment il a rencontré Chewie, comment il a mis la main sur le Faucon… On apprend tout ça. Mais avait-on vraiment besoin de le savoir ? Le voulait-on vraiment ?

En quête d’un wow

Toute l’intrigue se résume à un ou deux vols de carburant qui tournent mal et à une petite romance sympathique. C’est mince, sinon indigent. En cherchant à reproduire la faune louche des syndicats du crime qui terrorisent la bordure extérieure avec la bénédiction intéressée de l’Empire, Ron Howard se contente de livrer un pâle pastiche de la trilogie originale. Il faudra se lever matin, dans ce registre, pour égaler l’inoubliable première partie du Retour du Jedi : Jabba le Hutt, toute limace obèse qu’il soit, demeure bien plus terrifiant et détestable que le maffieux intersidéral Dryden Vos (Paul Bettany), le principal antagoniste de Solo. Tout ça est un peu triste.

Il ne s’agit pas ici de bouder un plaisir du reste bien relatif : Solo n’est pas, à proprement parler, un feu d’artifice. Rarement a-t-on vu dans un Star Wars une telle pauvreté dans le décor et l’image : pas une planète pour vous arracher ne serait-ce qu’un petit wow, ce que les trois précédents films de la nouvelle génération, malgré leurs défauts, réussissaient pourtant à tous les coups. L’unique poursuite spatiale du long-métrage, bien que visuellement intéressante, est désespérément dénuée de tension et on se demande bien pourquoi les armées impériales creusent encore des tranchées et chargent, pour ainsi dire, baïonnette au fusil (sans doute sont-ils français). C’est reparti comme en 14, les gars !

Du bon…

Mais ne soyons pas trop négatif : il y a aussi du bon. La scène de l’attaque du train, dans les montagnes enneigées, est très réussie : l’action y est magnifiquement chorégraphiée, le décor est impressionnant et, pour une fois, on sent un enjeu et on s’inquiète pour les personnages (ce que c’est difficile, tout de même, que d’instaurer une certaine tension dramatique). L’humour fait souvent mouche et la distribution s’en tire avec les honneurs (chapeau, à ce titre, à Woody Harrelson en vieux bandit bourru et à Donald Glover qui fait, ma foi, un Lando Calrissian fort honorable – mais pas au point, la Force nous en préserve, qu’on lui dédie un film !). Pour le reste… Inconséquent, on disait.

Reste la fin, qui fera sursauter certains et provoquera à coup sûr quelques hoquets et quelques vivats, puisqu’on y retrouve un personnage connu et adoré – ou son beau-frère, tout ça n’est pas très clair et sent tout de même un peu le grand n’importe quoi. Inutile de dire que la table est d’ores et déjà mise pour une suite… Celle-ci, toutefois, est moins probable qu’il y a à peine trois jours : Solo, pour sa sortie, a engrangé un maigre 83,3 millions au box-office américain. Ça peut sembler beaucoup, mais les pontes de Disney prévoyaient le double. Aïe. Il y a là un nouvel espoir : peut-être les studios comprendront-ils enfin qu’on ne transforme pas impunément un phénomène culturel unique en produit de consommation générique.

 

Solo, une histoire de Star Wars. Un film de Ron Howard, avec Alden Ehrenreich, Emilia Clarke, Paul Bettany, Woody Harrelson, Donald Glover et Thandie Newton.

2,5/5

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