Photos: Courtoisie

The Dragonfly of Chicoutimi : plongée identitaire dans le quotidien d’un « homme libellule » saguenéen

La pièce de Larry Tremblay, jouée pour la première fois il y a vingt-trois ans, revit au Théâtre La Bordée jusqu’au samedi 24 novembre prochain. Si le metteur en scène et acteur Patric Saucier fait preuve d’audace en proposant une adaptation de cette œuvre devenue culte, force est de constater qu’il remporte son pari. L’interprétation sentie de Jack Robitaille, l’esthétisme de la mise en scène et l’inventivité de la technique convainquent le spectateur et l’entraînent dans un univers franchement excentrique.

La nouvelle mouture de l’œuvre de l’auteur et dramaturge consacré Larry Tremblay était attendue avec impatience. À sa première sortie en pleine année référendaire de 1995, elle avait surpris le monde du théâtre en raison de son traitement inhabituel du thème de l’identité. Le protagoniste, Gaston Talbot, initialement interprété par le regretté Jean-Louis Millette, se réveille un matin incapable de parler sa langue maternelle. Pour une raison trouble, il s’exprime désormais exclusivement en anglais. L’homme natif de Chicoutimi est tout de même hanté par la langue de Molière.

Le français parvient effectivement à infléchir sa syntaxe et à colorer sa prononciation. Les rappels de sa langue maternelle sont en fait partout, dans la musique, dans l’incarnation gargantuesque de sa mère, dans ses souvenirs les plus enfouis dans son inconscient. Il parvient malgré tout à relater dans un anglais maîtrisé son rêve dans lequel il se métamorphose en libellule (dragonfly) et vogue au-dessus de Chicoutimi. La métaphore du statut précaire de la langue française avait alors été évoquée : on voyait dans la pièce une manière de décrier sa disparition.

L’oeuvre de Larry Tremblay mise à jour

C’est à cet univers particulier que le metteur en scène Patric Saucier s’est attaqué. On note d’assez grands changements dans le traitement de la pièce. On sent moins la métaphore d’une assimilation collective, l’intrigue ayant plutôt été resserrée autour des tourments intérieurs de Gaétan Talbot. Ce dernier est cette fois-ci incarné par un Jack Robitaille au sommet de sa forme. Robitaille rend compte avec sensibilité et fougue des complexités du protagoniste, un insaisissable vieil homme qui entraîne les spectateurs dans les méandres de ses fabulations et d’un traumatisme d’enfance. L’attachant Robitaille est appuyé par une dynamique et polyvalente partenaire de jeu au talent de chanteuse manifeste, Sarah Villeneuve-Desjardins. Elle n’est pas souvent présente, mais elle parvient à hypnotiser l’assistance quand elle pose un pied sur la scène.

Les deux acteurs évoluent par ailleurs dans un décor épuré qui se veut efficace et agréable pour l’œil. Le lit -ou tombeau- duquel émerge d’emblée le protagoniste est réutilisé de manière astucieuse au moment où la jeunesse de Gaston Talbot est relatée. Quant à l’obsession pour les « bâtons de popsicle » du Saguenéen, elle se transpose brillamment à l’esprit des spectateurs. Il faut aussi mentionner que les dialogues, parfois lourds, sont toujours très bien appuyés et renforcés par diverses projections particulièrement esthétiques. La musique se révèle également agréable et bien choisie, sans être trop intrusive.

Un univers abracadabrant

Tous ces éléments font que l’on ne s’ennuie pas. Cela dit, malgré la force de la mise en scène, la pièce reste tout de même indigeste par moments. Cela pourrait s’expliquer par le fait qu’on est constamment tenté de rationaliser l’univers franchement abracadabrant du protagoniste. Les bribes de souvenirs s’enchaînent et se répètent dans un ordre parfois trop étourdissant. Or, on se rappellera heureusement les nombreux aspects positifs évoqués. Ultimement, on ne peut en effet que souligner l’inventivité et la beauté du traitement de l’œuvre de Tremblay. Celle-ci a donc droit à une réappropriation réussie.

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