La vie d’Adèle, chapitres 1 et 2 : lorsque beauté et vérité se marient

Avant même de prendre l’affiche au Québec, le nouveau film d’Abdellatif Kechiche avait déjà une histoire. Deux, plutôt. Celle d’un grandiose triomphe cannois d’abord, couronné de la prestigieuse Palme d’or. Celle d’une controverse ensuite, violent déchirement ayant opposé le réalisateur (Kechiche) et l’une de ses actrices (Léa Seydoux).

Nathan Murray

Cependant, force est de constater, après le visionnement de cette œuvre magistrale, que le souvenir de la controverse s’efface bien vite, emporté par la puissance, la beauté, la vérité qui traversent La vie d’Adèle. Kechiche nous offre là son chef-d’œuvre, sans aucun doute l’un des meilleurs films de l’année. Une histoire d’amour pure et forte, superbement incarnée, filmée avec une maestria et un talent immenses.

Adèle (Adèle Exarchopoulos, magnifique), c’est une lycéenne férue de littérature, jeune et jolie, à l’âge de l’« éducation sentimentale » et des découvertes sexuelles. Sa vie, jusqu’alors assez morne, bascule le jour où la chevelure bleutée d’Emma (Léa Seydoux, parfaite) attire son regard. C’est le coup de foudre, irrésistible. Les deux femmes se revoient. S’apprivoisent. S’aiment, avec passion et abandon. Adèle se métamorphose, tout entière à son amour pour Emma, qui devient son souffle vital. Leurs mondes se rencontrent, s’entrechoquent, se mentent et s’épousent à la fois. Adèle, simple et émouvante, fragile mais lumineuse, veut devenir institutrice. Emma, passionnée, emportée, articulée mais bohème, étudie aux Beaux-arts et fréquente un milieu vivant, bariolé, qu’Adèle apprend à découvrir. Pendant près de trois heures, Kechiche nous raconte la vie d’Adèle, sa vie avant, et après Emma. Il met ainsi en scène une des plus belles idylles du cinéma récent. Et, surtout, une relation criante de vérité.

La vie d’Adèle s’inscrit parfaitement dans le cinéma de Kechiche. Le réalisateur français filme tout ; sa caméra est partout, capte chaque instant, chaque sourire, chaque regard, sans concession, à l’image de cette longue scène de sexe de plus de six minutes, fusion passionnelle dévoilant chaque angle du corps des actrices, frôlant le vulgaire sans jamais l’atteindre. Il y a toujours chez l’auteur-cinéaste cette impression de cinéma-réalité, ce penchant assumé, total, vers l’hyperréalisme, qui devient parfois péché mais convient parfaitement à un sujet aussi intense, lumineux et sincère que celui de La vie d’Adèle. Kechiche montre la vie telle qu’elle est, sous toutes ces facettes, sans sacrifier aux codes habituels, quitte à tomber dans l’ennui ou l’excès. Cette fois, cependant, le réalisateur a trouvé l’objet, le sujet parfait : nulle longueur dans ce véritable monument de courage, qui emporte et transporte le spectateur tantôt avec douceur, tantôt avec violence, dans une histoire d’une pureté et d’une beauté rarement vues au cinéma, tant dans l’image que dans le propos. Un film immense, porté par une immense actrice : Adèle Exarchopoulos, en effet, brille tout autant que Kechiche. Cette histoire sublime, c’est peut-être d’abord et avant tout la sienne.

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