MRIF : Un ministère mal-aimé

La polémique enfle sur une possible rétrogradation du ministère des Relations internationales et de la Francophonie (MRIF). Rumeur démentie par le ministère, l’opposition crie quant à elle à la diminution du rayonnement du Québec à l’étranger.

La possible restructuration du MRIF en secrétariat d’État fait couler beaucoup d’encre depuis le début du mois de septembre. Même si Christine St-Pierre, ministre du MRIF, refuse de confirmer ou de démentir l’information, le spectre d’une perte de pouvoir du Québec à l’étranger en émeut plus d’un. Sur fond de coupes budgétaires, l’avenir du MRIF semble menacé.

Contacté à ce sujet, le cabinet de la ministre n’a pas souhaité commenter cette hypothèse. « On ne commente pas, c’est une rumeur lancée sans aucun fondement dans les médias », coupe Florent Tanlet, attaché de presse de la ministre. Celui-ci tient cependant à rectifier qu’« il est hors de question de diminuer le rayonnement du Québec à l’international. C’est une priorité pour nous ».

Pourtant, si le MRIF est rétrogradé au rang de secrétariat, ses prérogatives seront quelque peu réduites, surtout au niveau de la gestion de son portefeuille. Comme l’explique Charles-Emmanuel Côté, vice-doyen aux études de premier cycle de la Faculté de droit de l’Université Laval, un secrétariat d’État n’a pas la gestion de son portefeuille, qui est administré par le ministère auquel il est rattaché.

« L’enjeu devient donc symbolique, commente M. Côté. Si le MRIF devient un secrétariat, il ne gèrera plus lui-même son portefeuille. Il aura donc moins d’autonomie d’action. »

C’est ce que redoute Carole Poirier, députée d’Hochelaga-Maisonneuve et porte‑parole de l’opposition officielle en matière de relations internationales : « Une rétrogradation, ça veut dire dans un premier temps moins de moyens. »

Couper la voix du Québec ?

Pour la députée péquiste, « il est fondamental que le Québec puisse parler de sa propre voix […] et émette ses opinions et valeurs à l’international. » Pour ce faire, « le MRIF doit avoir un ministre titulaire qui s’exprime au nom du Québec », exprime-t-elle.

Richard Perron, président du Syndicat des professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ), exprime lui aussi sa profonde inquiétude quant à cette possible rétrogradation. « On est estomaqués par l’évocation de cette idée […]. Si on décide de rétrograder le MRIF, il s’agira d’un geste idéologique pour amenuiser l’identité internationale du Québec », lance-t-il.

Selon le président du SPGQ, « une telle rétrogradation lance un très mauvais message à nos partenaires qui n’ont pas cessé de vanter les mérites du travail de cette petite équipe du MRIF qui se dévoue pour que l’identité internationale du Québec soit crédible. »

Carole Poirier y voit également une menace pour la valorisation des entreprises et artistes québécois à l’étranger. « Le MRIF, c’est un pouvoir de dialogue à l’étranger. C’est aussi le rayonnement de notre langue et de notre culture en même temps d’être un enjeu économique », insiste-t-elle en évoquant le soutien qu’offrent le MRIF et les différentes délégations du Québec à l’étranger aux entreprises québécoises.

« Des économies de bout de chandelle »

Pour Richard Perron, l’argument des économies budgétaires mis de l’avant par le gouvernement libéral est caduc. « On essaie de faire des économies de bout de chandelle », déplore-t-il.

Tous s’accordent pour dire que le MRIF possède déjà un budget extrêmement réduit par rapport aux tâches qu’il accomplit. Le MRIF représente seulement 0,14 % de l’ensemble des dépenses de fonctionnement des ministères et organismes gouvernementaux. Budget qui a été considérablement réduit, tient à rappeler M. Perron. « On ne voit pas pourquoi on voudrait mettre la hache dans quelque chose qui fonctionne très bien et qui ne coûte pratiquement rien », fustige-t-il.

Pour Charles-Emmanuel Côté, l’enjeu principal se situe au niveau des coupes qui pourraient advenir. « Le gros changement, ça serait de dire : on coupe des délégations à l’étranger. Ça, ça serait très problématique », déclare-t-il.

Selon lui, le problème ne réside pas dans la rétrogradation du ministère, mais dans la conservation des moyens d’action et financiers du MRIF. M. Côté explique que si le MRIF devient un secrétariat, il dépendra alors du ministère du Conseil exécutif ce qui, d’un point de vue d’efficience, n’est pas insensé selon lui. « Le fait que la politique internationale du Québec soit plus rapprochée du premier ministre : est-ce que c’est une mauvaise chose ? Je ne suis pas convaincu, nuance-t-il. Mais il ne faudrait pas qu’il y ait une réduction de la capacité d’action du Québec à l’étranger. »

Un héritage à conserver

Pour Caroline Poirier, le problème est récurrent dans l’histoire de la politique québécoise. « Il y a une difficulté à comprendre l’importance des relations internationales, regrette-t-elle. Arrêtons de voir le fait qu’un ministre qui va faire une mission commerciale comme un voyage. Ce n’est pas de la dépense, c’est de l’investissement. »

Un avis que partage Richard Perron, qui rappelle qu’avant sa fermeture, la délégation du Québec à Atlanta coûtait certes 1 million $, mais rapportait 2 millions $ en revenus annuels à l’État québécois. « Une crédibilité à l’international, ça prend des années à construire. Et si on la détruit, on aura le même chantier à rebâtir par la suite », fait observer le président du SPGQ.

Selon le vice-doyen de la Faculté de droit, l’importance de ce ministère transcende les partis politiques. « C’est un ministère qui fait des miracles avec de très faibles moyens. C’est un trésor, un héritage de la Révolution tranquille. Au-delà de secrétariat ou de ministère, il faut faire attention de ne pas couper les vivres au point de dilapider cet héritage-là », ponctue M. Côté.

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