Et dehors, l’accalmie

 Mon 11H11 à moi : donner vie à ce qui est déjà parti 

2022  

Le cadran affiche 4H14. 

À 4H33, le monde va s’écrouler pour la 365e fois.  

Cela fait un an que les nuits s’accélèrent jusqu’au moment fatidique. Quand tout s’arrête, à l’heure où d’autres dorment, je me perds.  

Comme si tout continuait, sans moi ; que ma présence s’isolait dans une craque de souvenirs étanches au moment présent.  

Comme si pour un instant, je n’appartenais plus à ce qui subsistait, que ma survivance se décidait, finalement,  

À me laisser te rejoindre.  

Je ferme les yeux en espérant ne pas revivre ce moment, mais l’univers se décide une fois de plus à me rappeler le passé. 

2021  

4H17 : l’alarme portative que nous avons achetée pour toi sonne dans le salon. J’ouvre la porte de ma chambre pour me retrouver dans le couloir. Papa est déjà dans l’escalier. Ta chambre à toi se trouve en bas.  

Ce sera plus simple pour les infirmières et le coroner, avait dit le technicien qui avait apporté ton lit d’hôpital.  

4H21 : On te tient la main, papa d’un côté du lit, moi de l’autre. Personne n’a voulu allumer la lampe de chevet. On observe le silence et l’obscurité.  

4H25 : Papa ose enfin me parler. Il me dit qu’il m’aime. Je ne pense pas que tu nous entends, tu es endormie ou presque, la douleur s’étant finalement calmée.  

4H27 : Il faut que j’aille aux toilettes, pour pleurer ou me noyer dans la cuvette. C’est une image qui me vient parmi tant d’autres. Je me lève sans me retourner.  

4H29 : Quand je reviens dans ta chambre, je sais ce qu’il va arriver. Le lampadaire devant chez nous ne fonctionne plus, j’ai un goût de fin de tout dans la bouche et la maison se tait. Les craquements habituels ont laissé place à un silence endeuillé.  

Je ne me souviens plus de  

4H30,  

4H31, 

4H32, 

Je ne me souviens plus de ces derniers moments avec toi. 

J’aimerais leur inventer une force testimoniale qui me supporterai à travers les anniversaires-solitaires ; pouvoir revisiter tes traits, ta main, ton cœur dans ces quelques secondes avant

L’évènement

Je ne me souviens plus de rien, seulement de la maladie, du corps, de l’après et de ce besoin pressant d’ouvrir la fenêtre, de fuir comme de rester. 

Je ne me souviens plus de ces trois minutes-là, je ne me souviens plus et pourtant chaque nuit depuis, je me raconte le tout sans pouvoir démêler la réalité du cauchemar.  

Dans ces trois minutes, j’imagine que ta respiration s’est accélérée  

Peut-être qu’elle a ralenti. 

Dans ces trois minutes, tu devais être belle  

Ou déjà décomposée de ta vie.  

Dans ces trois minutes, tu devais me serrer fort la main  

Ou ne plus avoir la force de rien.  

Je ne sais pas, mais je vis toutes ces possibilités comme autant de vérités.  

2022  

Ça fait un an que l’obscurité te rappelle à moi, un an que je cherche des signes de toi. 

Un an que je cherche sans rien trouver.  

4H37 : La 365e nuit est plus douloureuse que les autres. Je descends ouvrir ta fenêtre, comme à mon habitude. De là, j’aperçois la rue engorgée de silence. 

Il y a, sur le bord du trottoir, une chose scintillante que je n’avais jamais remarqué avant, de jour ou de nuit. À la lumière du lampadaire, elle m’appelle à venir la chercher. Je me décide à sortir, mes pieds nus sur le sol gelé. 

Dehors, l’objet m’attend. Un médaillon que tu n’aurais jamais porté. 

Il n’est ni très beau, ni très intéressant à regarder. En le prenant dans ma main, je vois un fermoir sur le côté. Je l’ouvre.  

Pour maman  

L’inscription est gravée à l’intérieur, suivie d’un cœur. C’est tout. Ça me suffit.  

Je décide à cet instant de te laisser vivre à travers les hasards. Je décide de traduire ce médaillon comme le signe que tu es toujours là avec moi.  

Cette nuit, je choisis de croire. Je retourne dans la maison, le médaillon à la main. Et je m’endors jusqu’au matin. 

 

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