Fabuleuses : une fiction improbable

[CRITIQUE] Le premier long-métrage de Mélanie Charbonneau, Fabuleuses, sorti en salle en août dernier, se résume par la rencontre entre une influenceuse, une stagiaire finissante et sa meilleure amie violoncelliste. Laurie (Noémie O’Farrell) se voit refuser un poste de chroniqueuse à la revue Top par manque de popularité sur les réseaux sociaux. Manque de popularité que viendra combler une rencontre hasardeuse avec Clara (Juliette Gosselin), rencontre qui marquera le début d’une amitié à la fois sincère, mais opportuniste aussi, il faut le dire. Clara décuple la popularité de Laurie sur les réseaux sociaux, et Laurie écrit pratiquement les articles de Clara. Un échange de bons procédés qui se transforme peu à peu en un échange complet des rôles ; Laurie se retrouve au sommet alors que Clara est en chute libre. La suite est assez prévisible : elles finissent toutes par sortir de cet univers qui leur a beaucoup plus pris que ce qu’il leur a apporté.

Par Emmy Lapointe, cheffe de pupitre arts

À l’image d’Instagram

La facture visuelle à l’image d’un compte Instagram soigné est plus que satisfaisante. Toujours ce qu’il faut de lumière froide pour ce qu’il faut de couleurs chaudes et inversement. La trame sonore soutient l’image aussi bien qu’elle le devrait, et la chanson Fabuleuses de Sarahmée est plutôt remarquable. En fait, il n’y a rien de particulièrement lacunaire sur le plan de la forme. C’est même, pour un premier long-métrage, un tour de force, mais pour ce qui est du propos, je ne crois pas qu’on puisse en dire autant.

Ce qui est difficile quand on écoute Fabuleuses, c’est de réussir à ne pas sortir du cadre fictionnel. Chaque fois qu’on réussit à s’immerger, à oublier ce qu’il y a autour, il y a quelque chose qui nous ramène à nous, qui nous tire du film. Déjà, il y a cette impression de fausseté qui se fait souvent sentir, comme si plusieurs répliques avaient été plaquées là dans le seul but de nous enfoncer une morale (discutable d’ailleurs) dans la gorge. Puis, il y a les personnages, des stéréotypes ambulants qui ne sont pas suffisamment assumés pour être drôles, mais pas assez nuancés pour qu’on les trouve crédibles ou attachants. Par ailleurs, Juliette Gosselin, avec son interprétation à la fois légère, juste et touchante, réussit à humaniser le métier d’influenceuse. De leur côté, Mounia Zahzam et Noémie O’Farrell font ce qu’elles peuvent avec les clichés dont elles disposent. Ensemble, elles forment un trio d’amies qui nous semble malgré tout assez sincère et solidaire.

« C’est comme ça qu’il faut être féministe »

Les maladresses de direction de jeu et les répliques à la « Ramdam » finissent rapidement par être oubliées, puisqu’on grince vite des dents pour autre chose. Le film avait sans aucun doute des visées féministes, mais le résultat final rend un peu mal à l’aise. D’un côté, il y a Clara qui se dit « body positive » et qui ne voit aucune objection à exposer et tirer profit des corps des femmes dans la mesure où celles-ci comprennent ce qu’elles font. Et de l’autre, il y a Élizabeth qui semble penser que l’émancipation de la femme ne peut passer que par le «maipoil » ou par la lecture de Virginia Woolf, et que la marchandisation du corps féminin est toujours condamnable.

En tant que tel, ce ne sont pas les deux « postures » féministes proposées (quoiqu’encore très stéréotypées) qui posent problème, mais plutôt le fait qu’elles soient mises en opposition. C’est comme si l’une des deux versions était plus valable et qu’elle devait impérativement l’emporter sur l’autre. On attendrait du personnage de Laurie qu’il vienne nuancer, réconcilier les deux partis, mais il le fait trop peu et trop tard. On se retrouve donc devant une vision manichéenne du féminisme en oubliant peut-être l’essentiel : le libre choix et la solidarité.

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