Démystifier et aborder la sexualité au grand écran

La sexualité est représentée depuis longtemps de différentes manières à travers l’histoire dans les arts, et surtout au cinéma. Julie Beaulieu, professeure en études cinématographiques, explique le contexte dans lequel est apparu la sexualité au cinéma et ses représentations, plus particulièrement celle de la femme et de l’homosexualité tout en illustrant l’importance d’en parler.

Par Mélissa Gaudreault, journaliste collaboratrice

Un peu d’histoire

La représentation de la sexualité dans les arts et la culture remonte à l’époque de la préhistoire, donc bien avant l’apparition du cinéma. On pouvait voir des dessins érotiques sur les murs des cavernes. Des statuettes, comme la Vénus de Hohle Fels, montrait le corps nu d’une femme duquel on remarquait facilement les organes génitaux. Ces statuettes représentaient les déesses de la fertilité et de la fécondité. « Ces représentations de corps féminins dénudés sont des exemples qui témoignent de l’expression de la sexualité de ces cultures anciennes à une époque où le terme “pornographie” [n’existait] pas », explique Julie Beaulieu, professeure agrégée en études cinématographiques à l’Université Laval.

L’être humain a toujours été attiré par la sexualité. « Cette fascination pour les représentations de la sexualité n’a cependant pas toujours été assimilée à la pornographie », affirme Mme Beaulieu. La manière dont la sexualité est représentée au cinéma dépend des conceptions de la sexualité, positives (ex. : érotisme) ou négatives (ex. : pornographie). On se doit aussi de la relier aux coutumes, aux habitudes de vie et aux conventions qui divergent selon l’époque ou la région du monde dans laquelle on se trouve. Il est ainsi essentiel de distinguer les termes « nudité », « sexualité », « érotisme », « pornographie » et « censure », qui sont souvent mis en relation quand on aborde la représentation de la sexualité au cinéma.

Les précurseurs

Dans le domaine cinématographique, la nudité est souvent liée à la sexualité et plus précisément au rapport sexuel, indique la professeure d’études cinématographiques. Plusieurs cinéastes ont lutté pour démentir cette relation établie à tort. Agnès Varda, cinéaste française et « mère » de la Nouvelle Vague, montre dans son film Documenteur (1981) le corps nu d’une femme et celui d’un homme qui se trouvent dans des pièces distinctes. Par ailleurs, Le film The Kiss de William Heise (1896) illustre en gros plan un baiser qui lui vaut une désapprobation du public. Le cinéma avant-gardiste européen des années 1920-1930 et le cinéma américain produit loin des grands studios accorderont plus de souplesse pour la représentation de la sexualité.

Études sur les représentations de la femme et de l’homosexualité au cinéma

La représentation des femmes et de l’homosexualité au cinéma apparait à travers les critiques filmiques sur le cinéma hollywoodien dans les années 19701980, ce qui s’explique par la hausse de popularité des mouvements féministes ainsi que ceux pour la reconnaissance des personnes de couleur.

« Visual Pleasure and Narrative Cinema », produite par Laura Mulvey en 1975, est la première étude sur la place des femmes dans le cinéma hollywoodien. « Pour Mulvey, la trame narrative du film classique hollywoodien circonscrit des espaces sexués (homme/femme) et genrés (masculin/féminin) qui à la fois délimitent et carac-térisent les différents personnages de la diégèse, renforcent la relation de pouvoir des hommes sur les femmes », commente Julie Beaulieu. Le point de vue masculin, articulé par le langage cinématographique et la mise en scène, projette le « spectacle de la femme ». Selon Mulvey, « la femme fatale devient spectacle », une source de plaisir troublante et dangereuse en même temps (ex. : Gilda, dans Gilda).

Une autre étude publiée par Richard Dyer en 1977, « Homosexuality and Film Noir », aborde la manière dont les personnages homosexuels sont présentés dans le film noir (ex. : Laura, The Maltese Falcon, Rebecca, etc.), l’un des principaux genres cinématographiques de l’histoire du cinéma américain. Il retire de ses analyses une représentation négative des personnages homosexuels dans les films qui se basent sur des stéréotypes, souligne Mme Beaulieu. De plus, comme la femme fatale, le personnage homosexuel est souvent évincé du récit très rapidement.

« L’expression « New Queer Cinema » (nouveau cinéma queer) a été utilisée pour la première fois dans un article de B. Ruby Rich, figure importante de la critique cinématographique queer, paru en 1992 dans le célèbre magazine anglais Sight and Sound (affilié à la BFI) ». Dans ce texte, le terme « New Queer Cinema » fait référence à une multitude de films américains indépendants réalisés à partir des années 1990. Par exemple, le Festival de Sundance a permis une grande découverte des films queer, exprime la professeure d’études cinématographiques. Le NCQ met de l’avant la différence en questionnant la représentation des identités et sexualités, et plus spécifiquement l’homosexualité.

Pourquoi en parler?

Dans le cours Cinéma et sexualité qu’elle donne à l’université, la professeure incite ses étudiant.es à réfléchir sur la façon dont le sexe, le genre et la sexualité interagissent à l’écran dans l’histoire du cinéma. « L’objectif principal du cours est de comprendre ce que les films montrent (ex. les images de la femme, les rôles sociaux, les différentes sexualités, les normes et ses marges, etc.) et comment ces films montrent : ce que ces images signifient, ce qu’elles nous disent dans un contexte donné (ex. une période historique ou un genre filmique) », dit-elle.

Les représentations des femmes et des hommes et les rôles des personnages varient, évoluent et deviennent plus complexes dépendamment des époques et des genres filmiques. Les thèmes changent en s’adaptant aux normes sociales ainsi qu’aux codes et conventions cinématographiques de l’époque, justifie-t-elle. Le cinéma amène le spectateur à se questionner sur le sexe comme concept. Celui qui fait référence au terme biologique (femme/homme), le genre, qui correspond à la construction sociale (féminin/ masculin), et à la sexualité, qui est associée à la gamme de désirs pouvant être ressentis par l’humain et non pas nécessairement aux pratiques sexuelles (désir hétérosexuel, homosexuel, bisexuel, etc.).

En résumé, le cinéma nous fait réfléchir à la construction de l’identité sexuelle, à ses théories et ses représentations dès la montée du cinéma avec des films comme The Kiss ou les stags films (courts films présentés dans les bordels) qui sont des exemples des premiers films pornographiques, expose Julie Beaulieu.

Consulter le magazine