S’affirmer par la poésie

En novembre dernier, Shayne Michael publiait son premier recueil de poésie intitulé Fif et sauvage aux éditions Perce-Neige. Divisé en trois parties : Mère(s), Méduse et Bois sucré, le livre au langage accessible ose « dire les vraies choses ».

Par Jessica Dufour, journaliste multimédia

Le titre est sans équivoque, voire cru. À lui seul, il évoque l’intimidation, l’homophobie et le racisme. Il rappelle la dure réalité à laquelle les membres des communautés marginalisées doivent encore faire face. Pour son auteur, « le combat n’est jamais fini ».

Shayne Michael n’est pourtant pas dans une démarche de revendication mais plutôt dans l’acceptation, l’affirmation de son identité par l’utilisation de ces mots durs et connotés. Pour lui, « c’est important de se [les] réapproprier » de les « accepter », de les « habiter ». « Je veux juste utiliser ces termeslà pour mieux les porter sans avoir à porter les étiquettes », explique-t-il en entrevue pour le Sprint poétique à Chyz.
L’auteur dit se questionner comme on prend son café le matin. Il réfléchit aux enjeux liés à sa double identité, à sa culture. La dualité est au cœur de son travail créateur. Mais Shayne Michael « n’est pas à moitié Malécite, ni à moitié Acadien. Il n’est la moitié de rien », révèle sa biographie.

Par sa poésie réaliste, accessible, influencée par la nature et ancrée dans la culture autochtone, il prend la parole, « prépare la relève et la jeunesse qui vont vivre peut-être les mêmes choses […] [à] comprendre mieux leur dualité ». Il aimerait permettre aux autres de comprendre plus tôt ce qu’il a compris vers la fin de la vingtaine. Il répète d’ailleurs « Je suis déjà en retard » plusieurs fois dans son recueil.

« […]
Écouter un film d’horreur
Faire un dessin
Se faire traiter de crisse de gros fif sauvage
Se battre
Arroser une plante »

Cet extrait provient de la puissante suite intitulée Quotidien: une liste d’actions en décalage les unes par rapport aux autres et que la gradation fait culminer. Ce poème ainsi que la troisième section du recueil, sont empreints de racisme ordinaire, presque banal parce que régulier, infiltré dans le quotidien.

La partie intitulée Bois sucré explore une ou plusieurs relations intimes où règnent la violence, le mépris, l’inégalité. L’écriture permet alors de briser la passivité, de provoquer la révolte par une prise de parole.

« On me déguste saignant
Sur la table vierge
À quatre pattes
On sort les couteaux »

Tout au long du recueil prédomine une espèce d’oscillation entre l’acceptation des préjugés : « Laisse-moi être ton stéréotype » et leur refus : « Ne lis pas seulement mon titre / Ne te fie pas à l’image // Lis l’article au complet ».

Fif et sauvage est un tout petit livre de forme presque carrée, d’aspect minimaliste et naturel. La couverture noire à texture granuleuse n’est occupée que par le titre, le nom de l’auteur et de la maison d’édition. La fibre se distingue parfois sur les pages qui sont plus beiges que blanches, qui proviennent de sources écoresponsables.

Même si la plume est débutante et consciente de ses clichés comme l’expression « renaître de ses cendres » ou la métaphore des ailes, de l’envol, elle reste soulevée par un propos important et d’actualité. De temps à autre, une image s’incruste, éclipse tout le reste. Il faut la méditer quelques minutes, quelques jours.

« Tu ne payeras jamais de taxes en moi »

Nul doute que la vision de ce poète continuera à s’affiner et à s’affirmer avec de plus en plus de force au fil de ses performances, de son travail artistique.

Encouragé par Sébastien Bérubé, également publié chez Perce-Neige, Shayne Michael s’est lancé dans la publication de son premier recueil, mais il ne s’exprime pas que par l’écriture. Ses premiers médiums sont la danse et le théâtre, qu’il a perfectionnés entre autres à l’université Laval dans le cadre de son baccalauréat en mise en scène. Il prépare un spectacle multidisciplinaire dont il sera le seul interprète.

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