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La rivalité politique du Québec et du Canada décortiquée

Gauche contre droite, fédéraliste contre souverainiste, mondialiste contre protectionniste, conservateurs contre libéraux, les oppositions dans les débats politiques sont fréquentes. Chaque jour, les politiciens débattent d’enjeux allant du droit des femmes à l’économie. Le Québec et le Canada ne sont pas épargnés par cette réalité, la période de questions de l’Assemblée nationale et de la Chambre des communes démontre bien que les rivalités sont au cœur de notre vie politique. Mais pourquoi est-ce le cas ? Si nos élu.es sont censé.es travailler pour le bien-être des citoyens, comment se fait-il que le débat soit aussi polarisé ? Pour discuter de cette question, nous avons consulté deux professeurs de l’université Laval, Éric Montigny, directeur de programmes de 2e et 3e cycle en science politique et Marc André Bodet, professeur agrégé du département de science politique.

Par Ludovic Dufour, journaliste collaborateur

Une rivalité relative

Selon ces deux experts, il faut d’abord relativiser cette rivalité. En effet, la couverture médiatique ont tendance à amplifier notre perception des conflits, car elle met l’accent sur les points qui causent des débats et sur les périodes de questions. « Les députés passent 45 minutes en période de questions, mais beaucoup plus de temps en commissions parlementaires chaque jour », rappelle monsieur Montigny.

De plus, il faut rappeler que la majorité des projets de loi sont adoptés à l’unanimité au Québec. Le professeur Montigny parle même d’une tradition de collaboration : « On a une longue tradition démocratique au Québec, on l’oublie, mais on a un parlement depuis 1792. On est une des plus vieilles démocraties et une des plus stables au monde ». Il est important de rappeler que le parti libéral parvient à rester au pouvoir à Ottawa malgré sa position minoritaire grâce à une collaboration avec le NPD.

Les deux professeurs comparent aussi notre situation avec celle d’autres démocraties où les débats sont beaucoup plus polarisés, par exemple en Corée du Sud et en Ukraine où des parlementaires se sont battus. Somme toute, les débats au Canada et au Québec restent assez bien encadrés pour éviter ces extrêmes. Le cas américain fait aussi réagir ; la collaboration entre les partis a été très limitée dans les dernières années, ce qui nuit au fonctionnement de leurs institutions, qui fonctionnent dans une logique collaborative.

Une rivalité inévitable

Monsieur Bodet explique que les institutions canadiennes et québécoises, contrairement à celles d’autres pays, notamment d’Europe du Nord, sont basées sur une idée de rivalité. Il développe : « La façon dont la chambre et l’Assemblée nationale sont organisées et fonctionnent […] est issue d’une logique de cour de justice comme quoi l’accusateur doit marquer son point et la défense doit offrir une réponse à tout ça ». En résumé, nos institutions encouragent le conflit, mais nos habitudes parlementaires prônent plutôt la collaboration. Malgré tout, l’arène politique reste l’endroit pour débattre et choisir. Les partis politiques structurent leurs programmes en fonctions des choix auxquels la société fait face et inévitablement les différents points de vue viennent à s’opposer. Les règles parlementaires et le décorum sont là pour que le débat reste civilisé, les enjeux seront toujours sujets à des rivalités, mais ce n’est pas nécessairement mauvais.

Une rivalité souhaitable

La rivalité politique est inévitable, mais aussi essentielle dans une certaine mesure. Monsieur Bodet se qualifie lui-même de « fan » de la rivalité, car les démocraties fonctionnent mieux avec un certain niveau de rivalité. Il mentionne aussi que les partis politiques sont obligés de lutter chaque jour pour défendre leurs positions, ce qui les rend probablement plus efficaces. Monsieur Montigny rappelle aussi que les citoyens sont plus exigeants envers les partis d’opposition, car ils demandent non seulement que l’opposition critique, mais qu’elle propose aussi des alternatives.

Monsieur Bodet ajoute que Robert Dahl, professeur émérite en science politique de Yale, affirme qu’une véritable démocratie se distingue plus par la tolérance d’une compétition au gouvernement en place que par le droit de vote. Il précise : « Dans ce sens-là, les sociétés qui visent les consensus trop serrés sont souvent les sociétés qui ont des réflexes ou des tendances autoritaires » et il ajoute que selon lui, « la rivalité, c’est un signe de santé démocratique et ça produit généralement de meilleures politiques publiques ».

Cependant, le risque de dérive est toujours possible. Les deux experts expliquent que la rivalité peut devenir trop intense et nuire aux travaux parlementaires. Par exemple, en temps de crise, une bonne collaboration entre les partis est souhaitable et c’est ce à quoi nous avons assisté lors de la première vague de COVID-19 au Québec ce qui tend à montrer que nous avons un équilibre sain entre collaboration et rivalité.

Bien que nous soyons en bonne position, Monsieur Bodet constate pour sa part un certain glissement vers une rivalité accrue. Il mentionne entre autres les publicités négatives à l’encontre des autres partis et l’usage du tutoiement lors des débats, mais aussi l’arrivée du parti populiste de Maxime Bernier avec lequel certains partis refusent d’interagir. Il avertit que nous devons être vigilants si nous voulons éviter de perdre ce précieux équilibre.
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