Le 7 mars dernier, Carolanne Foucher, poète, scénariste et comédienne, sortait son deuxième recueil de poésie : Submersible. Quelques jours plus tard, elle était sur les planches du Périscope pour la pièce qu’elle a co-écrite : La fin de la fiction. Et il y a quelques jours à peine, c’était au tour de son recueil pour adolescent.e.s, Dessiner dans les marges et autres activités de fantôme, d’atterrir sur les tablettes des librairies. Si elle a eu un mois de mars plus chargé que mon sac à dos quand je pars une journée pour Sainte-Foy, Carolanne Foucher n’a rien sacrifié, ni talent ni force, ni tristesse.

 

Par Emmy Lapointe, rédactrice en chef

 

Entrevue Carolanne Foucher 


Impact Campus
Si on n’oublie la très optimiste citation de Romain Gary « Il n’y a pas de roman capable de changer le monde », et qu’on se dit que l’art, que la littérature peut, qu’on le veuille ou non, changer un peu les choses et qu’on se dit que toi, dans tes textes, qu’on parle de textes de théâtre ou de poésie, tu es capable d’autant d’humour que de percutante tristesse, de la tristesse et de l’humour, lequel a la plus grande « portée politique » ?

Carolanne Foucher :
Je pense que c’est la cohabitation. Je pense que d’instinct, j’ai toujours envie d’aller vers l’humour, mais l’affaire, c’est que je suis habitée par une grande tristesse et au final, j’écris des choses tristes, mais pour moi, la meilleure façon de faire passer ce que je veux transmettre, de percuter, c’est de faire cohabiter les deux. On ne peut pas être juste dans le pathos, pleurez tout le monde, pleurez. Le public, les lecteur.rice.s ont besoin de bouffées d’air.

I.C. : De plus en plus, en récit, en roman, bref en forme longue, on fait attention dans les médias à ne pas mélanger la narratrice et l’autrice, mais on dirait que lorsqu’on parle de poésie, on n’échappe pas au mélange des instances narratives. Comment tu gères ça ?
F. : Je pense que je m’en sors malgré tout, parce que je fais une poésie narrative, alors les gens comprennent plus facilement que c’est de l’autofiction et que donc, il y a de la fiction. Ceci dit, la narratrice de Deux et demie s’appelle Carolanne, celle de Submersible s’appelle Carolanne Foucher. Alors, c’est certain que le.la lecteur.rice qui lit ou la personne qui fait l’interview se mélange entre Carolanne Foucher la narratrice et Carolanne Foucher l’autrice. Après ça, moi, je le sais qu’il y a de la fiction, donc quand on me pose ce genre de question, je ramène le fait que c’est une narratrice.

I.C. :Tu écris des pièces, de la poésie narrative, penses-tu éventuellement t’orienter vers la forme longue, comme le roman ou le récit ?
C.F. : Mathieu Arsenault a déjà dit qu’il était déçu que ses ami.e.s qui écrivaient de très bons poèmes écrivent de très mauvais romans. Donc, je n’écrirai pas de roman si je n’ai pas de bonne idée, mais j’ose croire que je maîtrise la forme poétique. Sauf que tu vois, celui que j’écris en ce moment, je réalise qu’il y a un récit, un récit qui est fragmentaire et poétique. Je me rends compte que je migre ou que j’essaie des affaires, et je pense que j’ai un lectorat qui semble vouloir me suivre dans cette forme narrative. J’avais aussi l’impression qu’il y avait des choses qui ne se racontaient pas en poésie, donc ça devient des fragments intercalés de poèmes, mais nous verrons. Il y a aussi que si j’écris du roman, je voudrais que ce soit un autre personnage que Carolanne Foucher, mais je voudrais que ce personnage-là soit aussi complexe, aussi nuancé, aussi multifacettes, alors il faut que je sente que j’ai les reins assez solides pour ça.

I.C. : Qu’est-ce que le théâtre t’apporte que la poésie ne t’apporte pas, et inversement ?
C.F. : C’est vraiment pas le même processus. L’écriture de poèmes, ça complète mon écriture de journal. J’écris des poèmes le soir, parce que j’en ai envie et à un moment donné, j’ai comme un bon nombre, je les retravaille et ça me fait un recueil. C’est beaucoup plus intime comme processus qu’une pièce où je sais où je m’en vais, je connais la fin, j’ai des personnages. Je raconte une histoire qui n’est pas la mienne. Elle est dans mon imaginaire, mais ce n’est pas mon histoire. Il y a quelque chose de l’écriture thérapeutique quand j’écris ma poésie, je ne l’écris jamais dans une logique de publication, alors que ma pièce, je l’écris en sachant qu’elle sera jouée et entendue par d’autres gens.

I.C. : Au moment où toi et moi on se parle, ton recueil pour adolescent.e.s sort dans quelques jours, mais au moment où les gens liront ça, il sera sorti, alors je tenais à l’aborder. C’est ta première expérience en littérature jeunesse, est-ce qu’il y a une différence dans le processus créatif quand on s’adresse à des ados plutôt qu’à des adultes ? Qu’est-ce qui était important pour toi?
I.F. : Une des choses qui m’importait, c’était de ne pas genrer mon personnage principal ni son kick. Son frère, sa sœur,soeur, ses parents, oui, mais pas eux. Je voulais que les lecteur.rice.s puissent s’identifier au personnage et à son kick sans égard au genre. Ce n’est pas politique en soi, c’était pour que ce soit rassembleur et pas nécessairement hétéronormatif. 

Pour ce qui est de l’écriture en tant que telle, j’ai écrit de la même manière sauf que j’ai enlevé les sacres et j’ai évidemment gardé en tête les thèmes. Parce que ce qui est toutchy avec le fait d’écrire pour des adolescent.e.s, c’est que c’est le seul groupe d’âge qui a une agentivité, mais pour qui on écrit quand même. Iels ont des récits, des choses à dire, mais juste pas le temps ou les outils pour le faire, alors j’ai essayé de rester humble là-dedans toutet en restant consciente du fait que je ne suis plus une ado et que je devais juste essayer de rester le plus proche possible de leurs préoccupations.

Quiz années 2000
Frencher Manolo, Simon ou Magalie ?
Jeune, Simon. Maintenant, avec mes valeurs, un mélange de Manolo et Magalie, mais jamais plus Simon.

Tu m’manques ou Et c’est pas fini comme réveille- matin ?
Les deux selon mon mood, les deux je pourrais les faire dans une soirée karaoké.

Musique Plus ou Vrak ?
Vrak.

Tamagotchi ou Furby ?
Tamagotchi, c’est certain.

She’s the man ou Legally Blonde ?
La jeune Caro voudrait que je choisisse She’s the man, parce que j’ai vraiment trippé sur ce film-là, sur Amanda Bynes et c’est une bonne adaptation de La nuit des rois de Shakespeare. Mais Legally Blonde, c’est vraiment cool aussi, parce que ça montre que tu peux performer ton genre si tu veux tout en étant super bonne et brillante dans ce que tu veux, même si c’est un domaine traditionnellement d’hommes. 

Meilleur film d’animation avant 2005 ?
Monsters, Inc… En fait, non, Poucette, je l’écoutais vraiment tout le temps.

Submersible, c’est l’un des seuls livres, voire le seul qui m’ait bouleversée dans les derniers mois. Mes attentes étaient élevées, parce que Carolanne, c’est une artiste drôle, percutante et douce que j’estime. Et le plus souvent, en littérature (et dans la vie), je suis déçue. Déçue d’avoir eu des attentes démesurées qui ne laissent aucune chance à l’artiste dès l’ouverture du livre. Mais Submersible a été une exception, parce qu’évidemment qu’il y a des exceptions, évidemment que la littérature m’atteint encore parfois. Et même s’il n’y a pas souvent des parfois, je sais qu’il me faut continuer de chercher les mots qui me renversent et qui percent le jour après jour après jour

« Tu dors abrié d’un petit drap raide / déchargé de ta peine d’être / je sais pas comment tu fais / huit heures après avoir écrit à tout le monde sur Facebook / que t’avais fait le tour / je sais pas comment tu fais / bonjour tout le monde /  j’aimerais simplement vous dire quelque chose qui me tient à cœur / tes beaux cheveux blonds de fibre optique / à courber la lumière qu’on envoie vers toi / on vient qu’on sait pu comment t’éclairer / j’ai décidé de penser à moi / de me faire un cadeau / t’es épeurant / j’ai peur de ben des affaires / quand tu clignotes dans une chambre »

« ça faisait longtemps que tu faisais des cauchemars / que tu te réveillais en criant que ta couverture était cassée / comment j’aurais pu réparer ça »

 

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