Photo: Julie-Anne Perreault

[Lettre ouverte] Les médias et l’opinion publique…un alignement parfait ?

Cette lettre ouverte provient du professeur titulaire en relations industrielles à l’Université Laval, Mustapha Bettache.

Il me parait important, à la lumière des dernières élections gouvernementales qui ont eu lieu ici et là, de s’interroger (mettre en lumière serait trop ambitieux ici) sur l’influence des médias (presse, télévision, radio, internet…) sur l’opinion publique. On peut en effet percevoir que des journaux, chaînes de télévision, internet ou stations de radio peuvent, par leur couverture de campagnes, orienter le vote et faire gagner (ou perdre) un candidat.

Je sais que cette question fait débat depuis longtemps, mais est-ce une raison pour ne plus l’aborder quand on peut se retrouver, comme cela arrive plus souvent de nos jours, devant des situations de fait accompli, soit l’élection de candidats porteurs de projets allant à l’encontre de l’intérêt général des populations, voire orientés vers les intérêts propres de minorités qui sont à la fois très riches et très puissantes, désirant fructifier davantage leur richesse et leur puissance quitte à sacrifier le bien-être des populations et la qualité de l’environnement. L’actualité récente est riche d’exemples illustrant ces situations telles les dernières élections au Brésil, et la liste peut être longue.

Mon propos n’est pas que les médias font l’opinion car je ne veux sous-estimer la capacité de jugement des citoyens. D’ordinaire, les médias ont un mandat d’informer les citoyens sur les programmes des partis politiques et des candidats participant aux élections et de favoriser ainsi la formation de l’opinion de l’électorat. Mais que de fois n’a-t-on pas admis que le pouvoir politique pouvait disposer des médias et façonner ainsi l’opinion publique. En surexposant des analyses et pronostics, les médias peuvent aussi orienter le choix des électeurs. N’était-ce pas le cas du Président français Macron qui a été fabriqué via les médias ? Il y a eu dans ce cas tel un matraquage médiatique qui visait à vendre aux électeurs un candidat à l’élection, comme on vendrait un produit en faisant appel à une stratégie marketing de très grande portée. Certains assimilent ce matraquage à une manipulation d’opinions derrière laquelle se profile bien souvent une oligarchie financière vantant un certain ultralibéralisme, présenté comme la voie princière pour le développement de l’humanité, le tout enveloppé de démocratie, d’égalité et de liberté.

Dans un contexte démocratique, les couvertures médiatiques des élections se doivent d’être impartiales mais en martelant sans cesse durant toutes les périodes électorales des résultats de sondages assortis de commentaires en général axés sur les candidats appelés à s’affronter comme dans des combats de boxe, on minimise ainsi l’information plus importante à fournir aux électeurs relative aux programmes que ces candidats s’engageraient à mettre en œuvre.

Noam Chomsky[1] parle de fabrication du consentement pour expliquer le phénomène de manipulation des opinions publiques érigé en modèle de propagande. La concentration des grands conglomérats sur l’information favorise cette situation de telle façon qu’à côté de ces machines médiatiques, les petits médias ne font tout simplement pas le poids. On peut rétorquer certes que ces risques peuvent être atténués par l’adoption de lois et règlements précisant davantage le rôle des médias dans les campagnes électorales mais il est permis de reconnaitre les limites d’une telle démarche quand on sait l’appartenance des médias dans leur majorité à des lobbys, très puissants et malheureusement bien souvent reproducteurs de modèles économiques propres à enrichir davantage les riches et appauvrir davantage les pauvres.

Sur cette lancée, j’aimerais apporter un autre commentaire, se rapportant à la manière dont les médias traitent inégalement les petits partis dont les candidats, lors d’interviews, s’entendent souvent dire : « même si vous ne serez jamais élu …» comme on l’a fait récemment au Québec pour le parti Québec Solidaire (QS) lors des dernières élections. A-t-on vraiment besoin de le préciser dans les interviews de ces candidats et quelle en est la visée?

Peut-on alors s’organiser en faveur de médias TOTALEMENT indépendants et disposant des moyens pour mener à bien leur mission ? A l’image de ce qui se prépare à propos de l’environnement où les initiatives citoyennes voudraient s’impliquer davantage afin de préserver notre magnifique planète, ne devrait-on pas agir de la sorte afin de fournir aux citoyens une information à la fois responsable, crédible, honnête, objective et dénuée de toute sorte de manipulation ?

L’avenir de nos enfants en dépend.

[1] Manufacturing consent –The Political Economy of the Mass Media, rédigé en collaboration avec Edward Herman en 1988. Traduction française de La Fabrication du consentement en 2002.

Consulter le magazine