L’UL à la conquête de l’univers

Ce qui se passe aux confins de l’espace, peu de gens en étaient bien sûrs au début du siècle. Maintenant, pour le découvrir, les astronomes disposent d’un spectromètre imageur ultra-puissant développé par le professeur du Département de physique, de génie physique et d’optique de l’Université Laval, Laurent Drissen. Une avancée technologique majeure soulignée, le mois dernier, par le prix Synergie du Conseil de recherches en sciences naturelles et génie du Canada.

Ce sont plusieurs années de travail acharné qui ont été récompensées, au début du mois de février, lorsque M. Drissen a reçu ce prestigieux prix, qui souligne les modèles de partenariat efficace entre l’industrie et les universités, ou les collèges.

En effet, il faut remonter au début du siècle pour assister aux balbutiements du tout premier projet conjoint SPIOMM, le spectromètre imageur à transformée de Fourier de l’Observatoire du Mont-Mégantic. Laurent Drissen et Bomem, maintenant connu sous le nom de ABB inc., se sont associés dans le but ambitieux de construire un nouvel instrument qui permettrait aux astronomes de voir les phénomènes lointains avec une grande précision.

L’origine de cette alliance a un nom : Frederic Grandmont, qui était alors étudiant au doctorat en astrophysique. En effet, c’est lui qui a témoigné à Laurent Drissen, professeur à l’UL, son souhait de collaborer avec la firme de Québec, Bomem, pour travailler au développement d’une technologie qui venait de faire son entrée dans le milieu, la spectrométrie. Une technologie que M. Drissen trouvait bien intéressante puisqu’elle permettait d’aller beaucoup plus loin que ce qui se faisait auparavant.

« C’est né d’une frustration où je ne pouvais pas faire ce que je voulais avec les instruments disponibles à l’époque. Quand Frederic m’a parlé de son projet, je n’ai pas hésité », raconte Laurent Drissen.

Dès lors, une complicité s’est installée entre les deux hommes, de sorte que, 16 ans plus tard, ceux-ci travaillent toujours de concert. « Il y a quelque chose que je trouve génial, je ne suis pas ingénieur, je suis physicien de formation et astronome, confie-t-il. Je rêve à des choses que j’aimerais faire. Frédérick, c’est un ingénieur. Il est capable de traduire en terme de vis, de miroirs et de lentilles ce que je veux du point de vue scientifique. Il a l’aspect très pratique et une compréhension des choses que je n’ai pas du tout. »

L’UL au cœur du projet

« C’est un projet réalisé par des étudiants presque de A à Z, dit-il fièrement. En collaboration avec ce qui est devenu ABB, mais encore là, ce sont des anciens qui sont maintenant ingénieurs. Je ne travaillais pas avec une grande compagnie, mais avec des anciens. »

En 2005, Laurent Drissen, Frederic Grandmont et plusieurs autres estudiantins à la maîtrise et au doctorat ont dévoilé un instrument qui permet de faire interférer les composantes de la lumière visible grâce à un jeu de miroirs, du jamais vu. Bien qu’on l’avait déjà fait avec la lumière infrarouge, cela se voulait un énorme défi lorsqu’il est question de la lumière visible puisque ses longueurs d’onde sont beaucoup plus courtes, ce qui demande une plus grande précision.

« Pour que ça fonctionne, il faut que la distance entre les miroirs soit précise à dix nanomètres près [cent millième de millimètre]. Si ce n’est pas aussi précis, on ne sera jamais capable de faire interférer la lumière comme il le faut et obtenir le contenu spectral », explique le professeur titulaire.

En laboratoire, tout allait bien. Une fois arrivé au sommet du Mont-Mégantic, le défi était tout autre. L’instrument était maintenant exposé au vent, aux changements de température et aux vibrations provoqués par le déplacement du télescope. « La première nuit qu’on l’a essayé à l’Observatoire du Mont-Mégantic, ça ne marchait pas du tout », se rappelle-t-il.

Encore plus loin

Après quelques années de peaufinage, SPIOMM est arrivé à des résultats étonnants de sorte que les partenaires se sont vu confier le mandat de construire un deuxième dispositif encore plus puissant, SITELLE, que les astronomes utilisent aujourd’hui avec le télescope Canada-France-Hawaï (CFHT), situé à Hawaï.

Une belle marque de confiance que Laurent Drissen a saisie avec plaisir. Encore une fois, il a mis à profit les connaissances des étudiants de l’Université Laval. Cette fois, c’est Julie Mandar qui a consacré ses recherches au développement de cette technologie. Avant même de proposer un nouveau prototype, elle a longuement observé SPIOMM pour analyser les bons coups et ce qui pourrait être amélioré.

Finalement, en 2016, Julie Mandar a proposé un spectromètre imageur qui permet d’observer des phénomènes à des milliards d’années-lumière, SITELLE. Il s’agit de l’instrument le plus compliqué à opérer à ce jour.

« L’avantage de cet appareil-là, c’est qu’on n’a pas qu’une image, mais aussi un spectre. Il y a quatre millions d’opérations mathématiques que l’on peut effectuer. C’est compliqué, mais quand on a les bonnes personnes qui sont intéressées à ça, on peut arriver à de grandes découvertes », soutient M. Drissen.

Au service du monde

Voilà maintenant un peu plus d’un an que l’instrument est installé à Hawaï. C’est le temps pour Laurent Drissen de répandre la bonne nouvelle. « Les gens ne connaissent pas trop la technologie. C’est complètement nouveau en astronomie. Un an, ce n’est pas beaucoup pour le faire connaître. Je dois aller faire la tournée des universités et montrer ce que l’appareil peut faire. »

Pour lui, il n’est nullement question de penser à un autre projet. « Je suis rendu à l’étape où je veux exploiter au maximum cet instrument-là, lance-t-il. Je ne regarde pas au-delà de ça pour l’instant. Ce sont des années de travail. C’est comme si tu t’arranges pour avoir quelque chose rapidement et quand tu l’as, tu veux déjà passer à autre chose. »

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