Thèse en bref: L’architecture à l’ère des changements climatiques

Comment adapter l’architecture aux conditions de vie de 1940 ou de 2050? Il n’est pas ici question de s’adapter aux skate-boards volants ou aux robots parlants, mais plutôt à un problème bien réel : les changements climatiques. C’est justement sur cette adaptation que s’est penchée Catherine Dubois.

Alors qu’elle commençait son doctorat sur mesure en ambiances physiques architecturales et urbaines, Mme Dubois s’est questionnée sur les impacts et causes des changements climatiques à l’échelle d’une ville. Bien vite, elle a constaté que « dans les villes, parce qu’elles sont des pôles d’activité, il y a beaucoup d’effets de serre qui s’émettent par les transports, l’industrie, etc. D’un autre côté, parce qu’elles sont connectées, qu’elles fonctionnent de manière systémique, les villes sont particulièrement vulnérables à certains impacts, dont les îlots de chaleur urbains, les risques d’inondation, la dégradation de la qualité de l’air, etc. »

Des absents d’importance

Malgré ces faits, ceux qui sont responsables de créer le paysage urbain, les architectes, ne sont que peu formés à faire face aux changements climatiques. « Les architectes, on n’est pas rendus là », constate Mme Dubois. En effet, s’il existe à l’université quelques formations sur l’architecture adaptée aux mutations du climat, le milieu professionnel reste à mille lieues de la formation académique. Tout cela est fort dommage selon Mme Dubois : « On n’est pas dans le débat, on n’est pas dans la réflexion, on n’est pas dans les discussions sur le sujet, alors qu’à tous les jours on prend des décisions qui vont influencer la capacité d’adaptation de la ville aux changements climatiques. »

Pour pallier ce problème, Mme Dubois s’est d’abord penchée sur la création d’outils permettant aux architectes d’adapter leur créations aux changements climatiques. Cependant, comme l’indique celle qui est aussi chargée de cours en architecture, « les outils ne sont pas mauvais, mais c’est faux de prétendre qu’avec un seul outil on va régler tous les problèmes. » Ainsi, c’est plutôt une feuille de route qui a été développée par Mme Dubois pour servir les architectes. Ce document « expose les possibilités aux professionnels et aux étudiants. Si j’ai un problème de trois bâtiments dans un quartier existant, l’idée est de savoir quels sont les objectifs de réduction de gaz à effet de serre que je peux viser, quelles sont les mesures d’adaptation que je peux mettre en œuvre, quelles sont les stratégies qui sont accessibles, etc. », explique-t-elle.

Cohérence avec l’environnement

Concrètement, comment adapte-t-on un bâtiment aux changements climatiques? « Il faut revenir à ce qu’on savait faire, c’est-à-dire des bâtiments qui dépendent moins de l’énergie, qui peuvent être chauffés massivement, qui peuvent être ventilés et éclairés naturellement », expose Mme Dubois.

Un bon exemple de cette indépendance à l’énergie est présent dans la climatisation. « Dans les dernières années, on voit une augmentation de l’achat de climatiseurs. Les gens ont des appartements mal ventilés, qui ont besoin d’être climatisés pour fonctionner. Qu’est-ce qui se passe si je n’ai plus d’électricité? Il fait chaud. L’idée, c’est de faire des bâtiments qui sont en harmonie avec leur environnement, qui diminuent l’impact sur l’environnement aussi. Si je consomme moins d’énergie, moins de ressources, je contribue à la diminution du changement climatique global. […] Quand on crée un bâtiment, on essaie de faire des logements qui sont ouverts sur deux façades. S’il fait chaud, il y a un courant d’air qui se crée. On peut aussi offrir des espaces extérieurs ombragés, choisir des matériaux qui stockent moins l’énergie, etc. », détaille la doctorante en architecture.

Adaptabilité au site

Autre point concret sur lequel les architectes peuvent agir : l’adaptabilité au site. « Si je suis dans une zone inondable, au lieu de mettre mon cinéma maison dans mon sous-sol avec trois chambres à coucher, je vais les aménager ailleurs, ou je vais mettre mon bâtiment sur pilotis. Il y a des dispositifs d’ordre technique, mais aussi des dispositifs vraiment sur le plan de la conception. Il faut juste prendre les bonnes décisions. »

Pas d’incitatif

Avec des concepts aussi simples, on peut se demander pourquoi ce ne sont pas déjà tous les architectes qui se mettent à cette méthode architecturale. Premier indice, les coûts : « Si on regarde juste le coût de conception, oui c’est un peu plus cher. Pourquoi? Parce qu’un bâtiment qu’on va dire bioclimatique, qui fonctionne en synergie entre l’occupant et son environnement, ça a besoin d’être étudié pour que ça fonctionne vraiment. On peut pas juste le ”plugger ” et faire le même bâtiment en face. Le sud est d’un côté, donc je ne peux pas prendre le même bâtiment et faire un copier-coller. Il faut à chaque fois que je regarde le site, que je l’étudie, et que je fasse une proposition qui est adaptée. »

Par contre, si la conception et la construction peuvent être plus coûteux dans le cas d’un bâtiment bioclimatique, les avantages rattrapent les désavantages. « Une fois que ton bâtiment est construit, il consomme moins d’énergie. Combien d’années ça va prendre pour amortir le surplus du départ? En plus, on a un bâtiment d’une meilleure qualité. Mais souvent, les gens regardent seulement le coût de construction », démontre Mme Dubois.

De même, la liberté de ne pas user d’une architecture adaptée aux changements climatiques peut nuire à la valorisation de cette méthode. Comme l’explique Mme Dubois : « Il n’y a pas de cadre réglementaire. Il n’y pas d’incitatif financier. Les changements climatiques sont encore abstraits pour bien des gens, c’est une réalité un peu intangible comparée à des contraintes très très réelles qu’on a quand on fait un projet : règlements d’urbanisme, budget, accessibilité aux handicapés, etc. »

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Îlot de chaleur: Augmentation de la température de manière localisée en zone urbaine. Les îlots de chaleur urbains sont souvent causés par les gaz à effet de serre, la diminution du couvert forestier, la nature des matériaux utilisés dans les villes (l’asphalte par exemple) et la chaleur occasionnée par la concentration de la population dans un espace réduit.

Le pavillon Gene-H.-Krueger à l’UL utilise les principes bioclimatiques dans son architecture.

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