Photo: Nate Kitch, The Economist

Le retour en force de la course aux armements

En 2018, le président américain Donald Trump a signé un budget record pour la défense nationale, a lancé une nouvelle division des forces armées : la Force de l’espace et a annoncé le retrait du pays de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien et tout récemment du traité sur les armes nucléaires de portée intermédiaire signé avec la Russie en 1987. Alors que son prédécesseur, Barrack Obama, avait gagné le prix Nobel de la paix en 2009 pour ses engagements à faire « un monde sans arme nucléaire », qu’est-ce qui a poussé les États-Unis à reprendre la voie des armes pour défendre ses intérêts sur la scène internationale ?

 

 

Un monde unipolaire

Il y a de cela presque trente ans, les États-Unis accèdent au statut incontesté de plus grande puissance mondiale. Grâce à l’implosion de leur plus grand rival en 1991, l’URSS, ils ont le champ libre pour étendre leur influence (démocratie, capitalisme, culture occidentale) à toute la planète. Désormais, pour convaincre les réticents, la force armée conventionnelle américaine est suffisamment puissante pour être efficace (Iraq (2 fois), Afghanistan, Libye, etc.).

 

Comme l’explique le directeur du Programme de défense au Centre pour une nouvelle sécurité américaine, Elbridge Colby, dans un article publié dans le Foreign Affairs, cette dominance permet aussi aux États-Unis de cesser l’élaboration d’armes nucléaires, qui en plus d’être très couteux, fait très mauvaise presse auprès des populations. Surtout, puisqu’il n’y a plus personne pour qui ce soit nécessaire d’effrayer avec l’arme suprême. C’était d’ailleurs sa principale fonction : dissuader l’ennemi d’attaquer par crainte de représailles capables d’anéantir des villes entières. Ainsi, à partir de 1991, tous les présidents américains participent à réduire les stocks de nucléaires. Avec comme parachèvement l’élection d’Obama en 2009 et son ambitieux engagement déjà mentionné.

Manifestation du 1er février 2018, devant la Trump Tower, New-York
Un monde multipolaire

Mais aujourd’hui, plusieurs experts s’accordent pour le dire, l’ère de la dominance incontestée de la puissance américaine est terminée. Le projet d’expansion du capitalisme a porté ses fruits ; l’économie mondiale globalisée a permis à plusieurs pays de sortir de la pauvreté et a placé (ou replacé) d’autres pays en position de puissance, leur permettant de défendre plus fermement leurs intérêts géostratégiques.

 

La Chine et la Russie s’avèrent les cas de figure les plus éloquents. L’invasion de la Crimée en 2014, l’impasse de l’épisode syrien et les allégations d’ingérence dans les élections américaines de 2016 témoignent que la Russie s’est dotée des moyens pour soutenir ses ambitions. De son côté, la Chine est devenue la deuxième plus grosse économie mondiale, elle a créé la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures, qui vient concurrencer le FMI et la Banque mondiale et se permet de tenir tête aux États-Unis dans une guerre commerciale. Cette réalité était impensable moins de vingt ans auparavant.

Dissuasion

Maintenant, quel est le lien entre un nouvel ordre mondial où plusieurs superpuissances doivent coexister et l’abandon du désarmement nucléaire ? Pour Vincent Fauque, maître d’enseignement à l’ENAP et spécialiste en affaires étrangères, c’est le retour de la logique de dissuasion, comme elle avait cours lors de la Guerre froide. « Quelle que soit l’époque […], c’est une logique qui a un effet pacificateur. » L’exemple nord-coréen s’est avéré probant : dès qu’un pays démontre son acquisition d’armes nucléaires de grande portée, le chef d’État américain se rue vers la table de négociation. « C’est un moyen pour garder les canaux de communication ouverts » rappelle M. Fauque.

La nouveauté, c’est qu’il ne s’agit plus de simplement posséder la plus grosse quantité d’ogives nucléaires capable d’anéantir la planète, mais au contraire de prouver la capacité d’utiliser des armes nucléaires de petite et de moyenne portée, qui ne serviraient qu’à neutraliser les bases militaires d’un ennemi, sans déborder en catastrophe humanitaire et environnementale.

En regard de l’annonce du retrait américain du traité sur les armes nucléaires de portée intermédiaire signé avec la Russie, M. Fauque croit qu’il s’agit d’un moyen de se parer contre une Chine qui dispose, elle, d’un arsenal nucléaire de ce genre, et qui n’est pas limitée par aucun traité. Les États-Unis ne voudraient donc pas se trouver en position défavorable face à la Chine, qui souhaite évincer l’influence américaine du Pacifique.

Logique de domination

S’il reconnait l’effet pacificateur de la logique de dissuasion, M. Fauque soutient tout de même qu’elle entretient des relations de tensions compétitives entre rivaux et qu’elle s’avère outrageusement couteuse pour les sociétés. Si les États-Unis étaient capables, dans l’exercice diplomatique, de prendre en considération les intérêts fondamentaux des autres pays, ils n’auraient jamais besoin de recourir à la dissuasion pour pacifier leurs relations.

Pour M. Fauque, c’est la logique de domination inhérente au projet américain à l’international depuis 1945 qui explique le développement d’un complexe militaro-industriel sans commune mesure, et le retour aujourd’hui à une course aux armements nucléaires. Sur plus de 70 ans, le pays a mené plusieurs offensives militaires à travers le monde, la plupart du temps avec l’objectif de changer les régimes au pouvoir dans les pays visés. Que ce soit au nom de l’endiguement du communisme, de la défense de la liberté, de la promotion de la démocratie ou encore au nom de la prévention de la prolifération nucléaire, les différents gouvernements américains ont toujours réussi à justifier les nombreuses crises humanitaires qu’ils ont laissées derrière eux pour assurer l’expansion du capitalisme.

 

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