Faut-il craindre la dépendance au sport ?

L’activité physique a des bénéfices indéniables pour la santé physique et psychologique. «Un esprit sain dans un corps sain», comme ils le disent, mais comme pour tout, une relation avec le sport peut elle aussi mal virer.

New year, new me ! Peut-être es-tu l’un(e) de ceux qui ne prennent des résolutions que pour un mois, à la Dry January ou son pendant québécois (moins long) de février. Ou alors tu t’es peut-être dit que tu allais commencer à courir et à t’entraîner. Après tout, c’est tendance et ça fait du bien de bouger, c’est même prouvé scientifiquement.

«L’activité physique est associée à plusieurs bienfaits : ça aide à la concentration, ça diminue la dépression et pour certain ça régule le stress et l’humeur», énumère Catherine Bégin, une professeure de l’École de psychologie de l’Université Laval.

L’étudiant au doctorat, Daniel Fortin- Guichard, partage ce constat, ajoutant à cette liste les sentiments de bien-être et de quiétude qui peuvent être ressentis après une séance d’exercices. Selon lui, il ne faut pas non plus ignorer les bienfaits sociaux. «Si on parle d’un sport plus collectif, il peut aussi remplir certains besoins sociaux et bâtir un sentiment d’appartenance», relate M. Fortin- Guichard.

Mme Bégin et lui émettent toutefois un avertissement similaire. «L’être humain est un être complexe, rappelle le doctorant. Isoler une variable comme la participation aux sports pour expliquer un meilleur rendement scolaire, ça ne fonctionne pas.» L’activité physique devrait donc surtout être vue comme un atout de plus dans un mode de vie sain.

L’équilibre a bien meilleur goût

La nuance est importante, insiste M. Fortin-Guichard. «Il ne faut pas penser que le sport amène le bien-être psychologique, c’est plutôt qu’il contribue au bien-être psychologique, accompagné d’un paquet d’autres choix de vie que tu vas faire», souligne le chercheur. L’activité physique est une habitude saine au même titre que de bien manger, avoir une bonne hygiène de sommeil et une bonne gestion de son horaire.

«Elle peut aussi avoir des effets négatifs dans la mesure où elle est faite de façon excessive et de manière trop rigide», annonce Mme Bégin. Elle donne en exemple ceux qui ne sont pas capables d’arrêter l’entraînement, même blessés, ou qui ne sont pas capables de déplacer des séances d’entraînement pour gérer des imprévus.

Pour certains, le sport peut même augmenter les obsessions au niveau des habitudes alimentaires, du poids, du corps et la routine d’activités, tel que l’explique celle qui se spécialise dans les troubles psychologiques liés à l’alimentation et l’image de soi. Dans ces cas, les impacts négatifs peuvent donc peu à peu dépasser les impacts positifs.

«Chez ceux pour qui l’activité physique devient problématique, ils en deviennent un peu prisonniers, remarque la professeure. C’est l’activité physique qui drive leur horaire et non pas l’horaire qui drive l’activité physique.» C’est dans ce genre de situation qu’une relation avec le sport peut commencer à prendre des allures de dépendance.

En as-tu vraiment besoin d’autant, tout le temps ?

Il semble important de noter que les deux chercheurs insistent sur la rareté de ce genre de relation malsaine avec le sport. «Si ça ne cause pas de souffrance, qui peut juger de la participation au sport d’un autre ?», demande M. Fortin-Guichard.

Tout de même, un peu comme dans un cas de dépendance plus classique, au départ, le comportement sert souvent à réduire des émotions négatives, mais à partir d’un certain moment les effets agréables qu’il génère vont le renforcer et le maintenir. «Le circuit neuronal de la récompense peut devenir tellement activé avec le sport et mener au développement d’une tolérance, il faudra ensuite faire plus de sport pour y prendre le même niveau de plaisir. Pareil comme une drogue», compare le doctorant.

Pourtant, dans les manuels de psychologie, la dépendance au sport n’existe pas. Pas officiellement du moins, puisque c’est encore un sujet chaud dans la communauté scientifique. «Il y a juste l’alcool, les drogues et la seule dépendance sans substance, le jeu pathologique», annonce Mme Bégin. Ainsi, que ce soient des dépendances au sport, au sexe, à la nourriture ou aux jeux vidéo, elles ne sont pas encore tout-à-fait reconnues. (Rappel : L’OMS a tout de même ajouté la dépendance aux jeux vidéo dans sa liste en juin 2018.)

Malgré le fait que la question soit encore controversée, ceci ne veut pas dire que certaines personnes ne peuvent pas souffrir du caractère parfois excessif et envahissant de leurs pratiques sportives.

Pour ceux qui seraient inquiets, les deux chercheurs les encouragent d’abord à se remettre en question. «La première affaire, ça serait de se demander : est-ce que je suis capable de manquer un entraînement ? Si on m’offre de sortir un soir ou d’aller déjeuner, est-ce que je suis capable de me dire, OK je n’irai pas m’entrainer, j’irai une autre fois. Est-ce que quand je m’entraine, j’ai tendance à vouloir m’en demander plus ?», suggère la professeure.

«C’est plutôt rare et encore là, il faut faire attention, il faut faire la distinction entre une dépendance et une pratique saine et nécessaire. C’est bon pour toi de faire du sport, alors qu’une dose d’héroïne ce n’est jamais bon», avertit en terminant M. Fortin-Guichard.

La culture du culturisme

«Il y a des dangers que ça soit sous- évalué, à cause que l’exercice est tellement valorisé», admet Mme Bégin. Selon elle, dans le contexte socio-culturel ambiant, il peut rapidement devenir difficile de juger la pratique d’activités physiques de chacun.

«On dit que bien manger c’est sain et bien bouger c’est sain, mais quand on le met dans le contexte de l’anorexie ou de l’orthorexie (l’obsession de bien manger), ceux et celles qui en souffrent adhèrent aussi aux recommandations qui disent que bouger, c’est bien», indique-t-elle, soulignant l’ironie.

Les problématiques liées à la sédentarité et aux surplus de poids seraient tout de même plus prépondérants. Ainsi, elles sont plus considérées par les campagnes de santé publique. Pour Mme Bégin, cette promotion de l’activité physique demeure donc tout à fait justifiée. «C’est sain, c’est pur, mais quand c’est utilisé à l’extrême, là ça peut devenir pathologique», nuance- t-elle tout de même.

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