Au péril de la mer
Dominique Fortier
Éditions Alto
Relier les récits de vie
Dans ce récit, les livres animent les personnages, les transportent d’un lieu et d’une époque à l’autre. Au quinzième siècle, un peintre trouve refuge dans l’abbaye du Mont-Saint-Michel. Ce lieu sacré lui permet de voguer dans ses mémoires où il retrouve Anna, une femme dont il a tenté de faire le portrait à une époque antérieure. Ce peintre s’éprend d’amour pour elle, mais ne peut compléter son portrait, qui demeure présent dans l’entièreté du récit.
Dans une solitude monastique, il imagine à travers le Mont-Saint-Michel l’achèvement de ce portrait. Le peintre est réduit à son imaginaire pour retrouver celle qui lui manque, dans ce lieu singulier qui se dévoile à travers ses souvenirs. Ce voyage dans le temps constitue une échappatoire qui lui permet de quitter l’espace religieux avec lequel il développe un rapport ambigu. C’est aussi pour lui un espace obligé, puisqu’il lui permet de rejoindre son amour.
À travers cette nostalgie s’introduit la vie d’une jeune romancière. On la découvre dans le Montréal contemporain, des siècles après le quotidien du peintre. Cette romancière partage sa passion pour les livres et pour la mythique bibliothèque du Mont, ce qui lui permet de côtoyer le peintre malgré les époques. Elle tente d’écrire, mais son écriture peine, tout comme le portrait d’Anna qui n’a pu être achevé. Tout au long de l’histoire, les personnages ne parviennent à s’accomplir : ils naviguent dans une constante introspection, ce qui devient un peu lourd pour le lecteur. La tristesse continue des personnages amplifie cette pesanteur. Les continuels voyages dans le temps feutrent le récit de mélancolie. Les personnages ne cherchent pas le bonheur, mais la sérénité.
Les copistes, qui partagent le quotidien du peintre, témoignent du passage temporel que permet le livre. Les histoires se transmettent, mais demeurent toujours différentes l’une de l’autre. Comme les vies du récit, qui s’entremêlent de sorte à ne pouvoir saisir avec certitude leur trajectoire. Une frustration pour les lecteurs qui doivent s’accrocher à quelque chose pour tourner les pages.
Ce à quoi on tente de s’accrocher, c’est l’ensemble des livres de la bibliothèque de l’abbaye qui permet un voyage d’un personnage à l’autre. Les moines la protègent, conscients de leur responsabilité.
Le Montréal d’aujourd’hui insère dans le Moyen Âge des brides de la vie de la romancière ce qui donne au lecteur l’impression que l’auteure s’est positionnée dans son propre texte. Comme si à force de narrer le quotidien de cette abbaye et de son peintre, elle avait senti le besoin de s’en rapprocher. Se rapprocher de son propre récit, de cette bibliothèque qui s’édifie jusqu’à devenir un lieu mythique.
Le visage d’Anna semble ne jamais se dévoiler complètement. Les lecteurs doivent s’attendent à naviguer dans des récits de vie mystérieux, qui ne prennent un sens que lorsqu’on tente de les emboîter les un dans les autres. Ces récits de vie demeurent incomplets, et le lecteur devra imaginer leur suite pour ce satisfaire.