Cette fin de semaine du mois de février marquait le dernier droit du Mois Multi, c’est-à-dire du Festival international d’arts multidisciplinaires et électroniques. Pour l’occasion, l’équipe d’Impact Campus s’est déplacée à la coopérative Méduse, question de profiter des ultimes petites merveilles que la programmation de cette 25e édition avait à nous offrir, notamment deux spectacles et une œuvre web se déployant sous le signe du rhizome.
Par Frédérik Dompierre-Beaulieu (elle), cheffe de pupitre aux arts
Poésie sonore et déambulation avec Le Carougeois
Auteur : Gilles Arteau | Enveloppe visuelle et marionnettes : Marcelle Hudon | Enveloppe audio : Mériol Lehman | Image et traitement vidéo : Steve Verreault | Voix et actes performatifs : Carole Nadeau et Sylvain Miousse
Comment qualifier ce type de spectacle ? Voilà une question que se demandaient justement certains membres du public lors de la période de rencontre animée par l’équipe du Mois Multi, jeudi soir dernier. Ce à quoi Gilles Arteau, la figure derrière le projet, répond qu’il s’agit d’une performance multidisciplinaire. Rien de bien compliqué, au fond. Il précise néanmoins que cette manière de définir et de qualifier la performance, qui allie « le théâtre d’objets et la marionnette, l’art audio et la vidéo, la littérature, la performance et la voix », fait référence à ces œuvres qu’il n’est pas possible de définir par le biais des pratiques unidisciplinaires, et sortent de ces cadres parfois un peu rigides. Encore une fois, tout a du sens.
Mais c’est surtout la poésie sonore qu’affectionne particulièrement Arteau et qui, malgré les prouesses techniques que représentent les projections et les manipulations, m’a le plus marquée, me semblait centrale. L’écriture du texte en est d’ailleurs particulièrement influencée : on mise sur les jeux de mots, sur la « richesse polysémique » du langage et les allitérations, l’auteur et directeur nous rappelant au passage que les mots, au-delà des significations dans lesquelles ils semblent figés, constituent aussi des sons. Il mentionne en ce sens faire confiance aux lecteur.rices et aux spectateur.rices dans la construction du sens du texte et de la performance dans son ensemble.
Je dois admettre que, par moments, je décrochais un peu, perdait le fil du récit et de la narration faite à deux, parfois plus monotone, pour y revenir et m’y raccrocher un peu plus tard. Il faut dire que les nombreux éléments qui composent la performance incitent les spectateur.rices à l’errance et à la déambulation. Une proposition rhizomatique, même « deleuzienne » selon les commentaires d’une spectatrice, à la fois dans son contenu que dans le format et les différents médias.
Crédit photo Antoine Morin-Racine
Sommes-nous toustes des champignons ?
Création collective : Audrée Juteau, N. Zoey Gauld, Catherine Lavoie-Marcus, Ellen Furey, en collaboration avec Marilyne St-Sauveur | Performance : Audrée Juteau, N. Zoey Gauld, Catherine Lavoie-Marcus, Ellen Furey | Artiste visuel : Martin Beauregard | Conception sonore : Geneviève Crépeau | Conception éclairage : Karine Gauthier
Là où l’éclatement et la dimension disons expérimentale du Carougeois me paraissaient plus hermétique ou réservées à un public aguerri et expérimenté, Mystic-Informatic, dans tous ces mouvements et ses soubresauts, m’a au contraire paru très accessible, malgré l’univers fou raide dans lequel le spectacle nous entraîne. Une rencontre étonnante, mais ma foi captivante entre la danse, la mycologie et les technologies numériques : « À la source de ses préoccupations se retrouvent un questionnement sur le sens de la danse dans le contexte du virage numérique, une fascination pour l’univers énigmatique des champignons ainsi qu’une préoccupation pour l’environnement et les déchets produits par le renouvellement constant de la technologie. […] Par la danse et les corps, la technologie se détourne de ses fonctions premières réelles et nous nous y connectons de façon sensorielle, corporelle et imaginative. Dans un esprit punk, apocalyptique et féministe, Mystic-Informatic nous invite à redonner le pouvoir à la danse pour exorciser notre désespoir écologique. » Face aux ruines du capitalisme, la danse, tout comme les champignons, perdure.
La chorégraphie – qui se rapproche davantage d’une « improvisation structurée » – est toute sauf traditionnelle. Adieu les grands jetés et les pas de bourrée : le corps et les quelques objets ou structures sont le lieu de l’expérimentation formelle, fonctionnant parfois même par la contrainte : pensons au segment que les interprètes et cocréatrices nomment « les bâtonnets », nous confiant lors de la période de discussion qu’il s’agissait de voir comment on pouvait bouger sans plier ni les bras, ni les jambes. Et si les champignons tentaient de se comporter comme des humains ? On essaye des trucs : pari réussi.
Outre la performance « principale », le spectacle incluait également un moment de dialogue directement avec le public, période durant laquelle il nous était possible de poser des questions à un tarot mycologique par l’intermédiaire d’un site internet dédié au projet, nous permettant à notre tour de nous imprégner pleinement de Mystic-Informatic, d’en faire partie, en plus de mieux comprendre l’état d’esprit dans lequel s’inscrit la performance et de poursuivre la réflexion sur les enjeux soulevés, de nous les approprier. C’est aussi ça, le Mois Multi : le festival permet de créer des ponts entre des propositions aussi originales que diversifiées et des publics plus larges. Mission de démocratisation des arts multidisciplinaires et électroniques, pourrait-on dire ? Dans tous les cas, les artistes, il me semble, le font pour tripper, pour reprendre les mots des quatre interprètes de la performance. La principale contrainte, vraiment, consiste « à rester fidèles à ce qui amène la joie dans la création. »
Il y a dans ce besoin d’incarner le corps au-delà des mouvements quotidiens appris, contraignants et restrictifs, normatifs, quelque chose auquel on peut facilement s’identifier. Pour moi, Mystic-Informatic, ce sont les élans frénétiques un peu aléatoires qui me prennent quand je suis seule chez moi (pour ne pas dire zoomies). C’est le cours d’éducation physique dont j’aurais vraiment rêvé quand j’étais plus jeune. C’est notre relation complexe et ambivalente à la technologie, à un monde en ruines que l’on voudrait voir se révolutionner, malgré qu’il conditionne de manière très forte et directe notre manière d’être au monde et nos modes de pensées, justement. J’ai tout aimé, du début à la fin. Va pour l’émerveillement (et non pas la complaisance, car les artistes méritent amplement les éloges).
Voici justement une entrevue réalisée par mon homologue Noémie Fontaine aux arts et à la culture à CHYZ 94.3 dans le cadre de ce spectacle :
Et pour vous aussi vous plonger dans ce mycélium mystique (et informatique) et laisser sa chance à la divination mycologique, c’est au https://www.post-mycelium-mystique.net/. Que l’oracle soit avec vous !
Crédit photo Mathieu Robichaud
Et c’est pas fini (c’est rien qu’un début)…
Malgré la Fin, soirée de clôture proposée ce samedi, tout n’est pas terminé pour les amateur.rices fini.es du Mois Multi. Les plus friand.es n’auront effectivement pas nécessairement à attendre à l’an prochain pour se délecter des projets et des performances que met en valeur le festival. Nos territoires, paysages sonores, une œuvre numérique et « projet d’art sonore intergénérationnel » de la compagnie de recherche et de création Les Incomplètes et qui prend ancrage dans les multiples sons du territoire québécois, est effectivement disponible gratuitement en ligne pour le grand public. Le lancement, qui avait lieu vendredi, marque le début d’une grande aventure pour le projet, puisqu’il s’agit d’une œuvre ouverte qui évoluera et s’actualisera jusqu’en 2026. Il est d’ailleurs possible de la consulter en cliquant juste ici.
Pour les curieux.euses qui aimeraient en apprendre davantage sur cette édition du Mois Multi, d’autres de nos cher.ères collègues à CHYZ 94.3 ont elleux-aussi, de leur côté, couvert à leur manière le festival, segments radiophoniques qu’il vous est possible d’écouter en ligne : un retour en ondes le 12 février (en début d’émission) et une émission spéciale le 14 février à l’émission Chéri-e, j’arrive! Bonne écoute !