La notion d’ego, bien que souvent utilisée dans le langage populaire, est généralement mal comprise. Nous disons par exemple « avoir un gros ego », mais à quelle entité mystérieuse référons-nous exactement ? Essayons de voir ce que la psychologie et la spiritualité nous disent de l’ego et de son rapport dans le fonctionnement de l’être humain.
Par Émilien Côté, journaliste collaborateur
L’ego en psychologie
Pour parler en philosophe, on pourrait dire que l’ego est le propre de l’être humain. En effet, bien que beaucoup d’animaux soient capables de pensées et de langages, aucun ne semble se rapporter à son individualité de manière réflexive. Ego est un substantif latin qui veut dire « moi » ou « je ». L’ego, c’est le « moi ». Il comprend deux aspects distincts : le corps et le mental. Dans la tradition philosophique, Descartes les sépare de manière radicale : « il y a une grande différence entre l’esprit et le corps, en ce que le corps, de sa nature, est toujours divisible, et que l’esprit est entièrement indivisible (Descartes, 2011, p. 203) ». L’ego, c’est le sujet. C’est celui qui pense, qui ressent et qui parle. Il est constitué de l’ensemble de nos expériences. Chez Freud, « le moi apparaît comme un intermédiaire entre le ça pulsionnel et le surmoi » (Bourahla, 2019, paragr. 5). Autrement dit, le « moi » maintient l’équilibre entre nos instincts inconscients, nos interdits moraux et les contraintes du monde extérieur.
L’être humain s’est constitué une persona au cours du temps à des fins de survie. À ce titre, l’ego nous est indispensable. Pour réguler nos rapports avec autrui, et pour assurer notre propre développement, nous devons absolument nous projeter mentalement par rapport à l’environnement. C’est ainsi qu’au fil de l’évolution, la pensée est devenue prépondérante dans notre vie quotidienne. Grâce à elle, nous avons exploré des continents, inventé de nouvelles technologies, réalisé des œuvres d’art, tout cela dans le but de l’accroissement du « moi » que nous nous sommes forgé.
Les dérives de l’ego
Cependant, l’ego comporte aussi son lot de problèmes. En effet, lorsque nous projetons un « moi », c’est toujours en rapport avec celui des autres. En effet, nous cherchons souvent à maximiser nos intérêts en dépit de ceux de nos congénères. Cette division mentale a été – et continue – d’être la source d’innombrables conflits, à petite et à grande échelle.
Sur le plan individuel, dans la conscience humaine ordinaire, il y a plus de six mille pensées qui surgissent chaque jour (Tseng et Poppenk, 2020, paragr. 28). Ces pensées quasi continues nous renvoient au passé et à l’avenir dans le but de maximiser nos chances de survie, mais ce faisant, elles nous empêchent de vivre sereinement le moment présent. L’ego finit ainsi par obscurcir notre quotidien.
On désigne les gens ayant une estime démesurée d’eux-mêmes comme ayant un « gros ego », mais les gens qui se dévalorisent constamment ont aussi un gros ego. Dans les deux cas, l’individu se crée une image de lui-même qu’il juge de façon positive ou négative, et le « moi » occupe la position centrale. Spinoza disait d’ailleurs : « nous avons l’habitude d’opposer l’orgueil à l’humilité, mais alors nous faisons plutôt attention à leurs effets qu’à leur nature (Spinoza, 2019, p. 253) ». Si mon attention est centrée sur l’image que j’ai de moi-même, alors je vais chercher à améliorer cette image en essayant d’acquérir ceci ou de faire cela, sans jamais me satisfaire. Est-il possible de moduler cet égocentrisme ?
Le pari de la spiritualité : peut-on vivre sans ego ?
Au vu de ce qui a été dit précédemment, il est absurde d’imaginer une vie sans ego. Tant que nous aurons un corps et une pensée, nous aurons un « moi » dont nous devrons nous servir pour évoluer dans le monde. Cela dit, les différentes religions nous indiquent que le secret d’une vie heureuse est de nous libérer du poids de l’ego, et de nous servir de notre « moi » uniquement lorsque nécessaire. Autrement dit, la pensée est « un outil, un instrument qui est là pour servir à l’accomplissement d’une tâche précise. Une fois cette tâche effectuée, vous déposez votre outil (Tolle 2016, p. 34) ».
Pour que cette pratique devienne possible, il faut revoir notre conception traditionnelle de l’être humain. La spiritualité prétend que l’être humain n’est pas seulement un ego (autrement il ne pourrait pas s’en écarter), mais qu’il possède un esprit qui permet l’existence de l’ego. Cet esprit serait simplement une conscience pure qui rendrait possible l’expérience des choses. Sans une conscience primordiale et impersonnelle, nous ne pourrions avoir aucune pensée, émotion, sensation ou perception : elles n’auraient pas de support. Comme l’écrivait Jean-Paul Sartre, « [l]’Ego n’est pas propriétaire de la conscience, il en est l’objet (Sartre, 1966, p. 77) ». Selon certain.es, tous les individus, bien que séparés par leurs personnalités respectives, partageraient un même esprit (le Saint-Esprit en langage chrétien). Si nous ne sommes vraiment que des êtres humains complètement séparés les uns des autres, la souffrance n’aura pas de fin, mais si nous avons une essence commune, alors il y a espoir que la paix puisse advenir. En nous détachant de nos pensées subies et en acceptant totalement le moment présent, nous pouvons maintenir l’ego à la périphérie de notre existence et accomplir nos actions sans causer de conflits pour nous-mêmes ou pour les autres : « La non-résistance, le non-jugement et le non-attachement sont les trois aspects fondamentaux de la liberté véritable et de l’illumination authentique (Tolle, 2005, p. 190) ». Il y a alors une réconciliation entre notre individualité et notre universalité, un secret pour un monde plus harmonieux.
Bibliographie
Descartes, R. (2011). Méditations métaphysiques : Objections et Réponses. Éditions GF.
Bourahla, A. (Juin 2019). Surmoi. PasseportSanté. https://www.passeportsante.net/fr/psychologie/Fiche.aspx?doc=surmoi
Tseng, J. et Poppenk, J. (2020). Brain meta-state transitions demarcate thoughts across task contexts exposing the mental noise of trait neuroticism. Nature Communications, 11(3480). https://doi.org/10.1038/s41467-020-17255-9
Spinoza, B. (2019). L’Éthique. Éditions Gallimard.
Tolle, E. (2016). Le pouvoir du moment présent : guide d’éveil spirituel (œuvre intégrale). Éditions Ariane.
Sartre, J.-P. (1966). La Transcendance de l’Ego : Esquisse d’une description phénoménologique. Vrin.
Tolle, E. (2005). Nouvelle Terre : L’avènement de la conscience humaine. Éditions Ariane.