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L’immigration et l’intégration, distinguer le vrai du faux pour un débat plus sain

Si l’immigration a toujours été un important sujet de débat, celle-ci prend maintenant une place centrale durant cette campagne électorale et pourrait bien être le facteur décisif dans les urnes. Alors que la CAQ et le PQ proposent de réduire le nombre de migrants pour faire face aux problèmes d’intégration, le PLQ, quant à lui, maintient que cette immigration est nécessaire pour le bien-être économique, tandis que QS déplore le fait que l’on s’en tienne simplement à un débat de chiffres alors que l’on traite d’êtres humains, surtout considérant qu’une partie de ceux-ci fuient la guerre. Pour clarifier le débat et offrir de nouvelles pistes de réflexion, nous avons consulté Kamel Beji, docteur en science économique et expert, entre autres, de l’intégration socioprofessionnelle et de la politique migratoire.

Un problème ? Oui. Une catastrophe ? Certainement pas.

«On ne peut pas dire qu’il n’y a pas une problématique d’intégration, mais elle n’est pas terrible», modère le chercheur alors que l’on aborde le sujet. Dans ce cas, où est le problème et comment se manifeste-t-il ? Le problème se retrouve principalement au niveau du chômage chez les immigrants d’Afrique du Nord et subsahariens. Ce phénomène peut sembler totalement paradoxal puisque ce sont ces immigrants qui parlent le mieux français, mis à part les Français eux-mêmes. Comment expliquer ce résultat ? «L’anglais pose un problème, plus que le français pour s’intégrer au Québec. On leur demande de parler anglais. Or, l’anglais, c’est leur troisième langue et c’est rare qu’ils parlent bien anglais.»

D’un autre coté on sait que la problématique est bien là, mais elle n’est pas aussi terrible que ce qu’on veut nous faire croire et même, la situation s’améliore : «le taux de chômage a baissé et pour la première fois depuis très longtemps, le taux d’emploi chez les immigrants est plus important que chez les natifs». Le chercheur souligne qu’il faut prendre ces statistiques avec précautions, car on ne prend pas en compte la qualité des emplois dans ces données. Tout de même, les entreprises embauchent et «les indicateurs sont au vert, pas au rouge».

Des propositions intéressantes ? 

Les propositions des partis en matière d’intégration s’effondrent dans leur non-sens selon le chercheur. D’abord, l’un des aspects importants proposés est l’imposition d’un test de français qui existe déjà, confirme-t-il. Et comme précédemment mentionné, la connaissance de la langue française ne semble pas un problème, il explique même que «ce sont les francophones qui s’intègrent le moins bien.»

Le fameux test de valeur est aussi une catastrophe : «c’est indigne d’un pays accueillant». Les arguments contre celui-ci sont multiples. D’abord, les immigrants ne voudront pas attendre trois ans pour être accueillis et subir ce test : «pensez-vous que les gens qui savent qu’ils vont poiroter pendant trois ans, ils vont venir au Québec? Ils ne vont pas aller au Québec, ils iront en France, en Allemagne». L’autre problème: qui va écrire ce test ? Les valeurs sont subjectives et déterminer ce qui est québécois et non québécois serait tout simplement impossible. La nature même du test est, selon lui, discutable : « Le nom, déjà, test de valeur, ça veut dire que vos valeurs ne sont pas les nôtres». Il ajoute : «c’est comme si c’était des prisonniers et qu’on leur ferait signer un papier au poste de police avant de partir. » Il se dit aussi déçu des autres partis qui ramènent le débat à un aspect économique alors qu’il considère l’existence même du test comme immorale.

À propos de la baisse du nombre de migrants, M. Beji rappelle l’enjeu du vieillissement de la population : «parce que maintenant, de tous les pays menacés par le vieillissement, on est le deuxième sur la liste.» Toutefois, l’impact des immigrants n’est pas seulement économique, il est aussi démographique. Le chercheur précise que le Canada et le Québec ont avantage à avoir une plus grande population sur son territoire, même si elle ne travaille pas, seulement pour qu’elle puisse consommer et ainsi offrir un meilleur marché pour les entreprises. Il renchérit même : «ça va avoir des répercussions dans les mois et les années à venir et sincèrement, on devrait les augmenter». De plus, à propos de la théorie de l’amélioration de l’intégration par la réduction du nombre de migrants, l’expert a tout simplement répondu «moi je ne vois pas le lien».

Il rappelle aussi que les immigrants ne sont pas que des chiffres virtuels, ce sont des humains et parfois des réfugiés. Il ajoute que «sur les 50 000 qui arrivent il y a 10 à 15 000 enfants».

Mais encore, l’adoption de toutes ces mesures serait extrêmement difficile à cause de l’accord Canada-Québec. Toutes mesures faites pour réduire le nombre d’immigrants pourraient remettre en cause cet accord, qui est, selon le chercheur, très bénéfique au Québec, mais peut-être mal utilisé.

Des solutions variées et prouvées

Quelles solutions pour améliorer l’intégration ? D’abord, améliorer notre manière d’utiliser les fonds fédéraux donnés par l’entente Québec-Canada et pour ça, il faut regarder l’Ontario et la Colombie-Britannique. «Le Québec utilise 8% de ces fonds pour des organismes d’intégrations, eux ils utilisent 70% de ce montant pour des organismes», explique l’expert. Il précise que les immigrants ont souvent besoin de plus d’accompagnement que ce que nous offrons en ce moment.

D’autres programmes pourraient être utilisés plus largement, par exemple le programme PRIME (Programme d’aide à l’intégration des immigrants et des minorités visibles en emploi) qui paie 50% du salaire d’un migrant pendant un an aux entreprises qui l’embauchent, M. Béji ajoute aussi qu’une fois le premier emploi trouvé, l’intégration se fait généralement beaucoup plus facilement.

L’une des approches, peut-être plus complexe, est dans la localisation de l’intégration. Il mentionne que dans d’autres provinces et notamment les pays nordiques : «les expériences locales montrent que c’est de cette manière qu’on arrive à dynamiser les régions». Donner plus de pouvoir, de responsabilités et de financement aux villes, dans ce domaine, s’est relevé très efficace. L’investissement à long terme dans le vivre-ensemble et surtout dans les écoles est capital, car malheureusement, les problèmes de stigmatisation et de racisme persistent.

Finalement, le grand défi du moment pour l’intégration, c’est la régionalisation. Il faut faire sortir les immigrants des grands centres urbains, pour faciliter leur intégration, mais aussi parce que ce sont les régions qui souffrent le plus du vieillissement de la population.

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