Le terme est évocateur de celui plus fréquemment utilisé sous sa forme anglaise ; “Fake News” et qui s’impose désormais comme « un réel enjeu digne de s’y attarder sérieusement ». C’est du moins l’avis de Colette Brin, professeure au Département d’information et de communication et directrice du Centre d’étude sur les médias, qui a introduit les récentes découvertes de ses collègues et d’autres experts sur ce sujet lors de la conférence La politique, un enjeu de culture civique organisée par la Faculté des lettres et des sciences humaines, le 19 septembre dernier.
Il semble qu’outre l’expression bien connue, l’intérêt particulier accordé à la question de la qualité de l’information dans les médias a été propulsé par deux évènements politiques récents. En 2016, le Royaume-Uni a voté en faveur d’une séparation de l’Union européenne et quelques mois plus tard, Donald Trump s’est fait élire président des États-Unis. Quelles que soient les affiliations politiques, les résultats de ces deux votes ont « déjoué les pronostics », pour reprendre les mots de la professeure. Si bien que plusieurs se sont rabattus sur la prolifération de fausses nouvelles pour expliquer ces résultats.
Alors que d’une part, ce nouveau débat scientifique rejoint celui centenaire de la propagande, la persuasion, la manipulation et le traitement cognitif de l’information. L’environnement médiatique d’aujourd’hui a profondément changé. Avec l’ère du numérique vient ce que certains experts appellent l’ère de la « post-vérité » voire la « post-réalité ».
Un problème qui reste à cerner
Colette Brin affirme qu’aucun consensus n’est établi sur la nature, voire même sur l’existence d’un problème de fausses nouvelles. Le terme en soi ne semble pas adéquat pour certains, par son caractère trop subjectif. Cependant, elle expose les problèmes auxquels font face les médias traditionnels actuellement, qui touchent directement ou indirectement l’enjeu discuté.
« Leur financement [les médias] devient difficile à cause de la perte de popularité des plateformes comme les journaux papier, la radio ou la télévision ainsi que le manque de revenu publicitaire même sur les sites internet, dont les géants comme Google et Facebook accaparent la majeure partie ».
Selon le Digital News Report Canada en 2018, seulement 9% des Canadiens disent avoir payé pour accéder à de l’information en ligne. D’où l’explication de nombreuses fermetures et de réductions de services offerts par les compagnies de médias locaux. L’espace numérique en soi s’avère problématique. Sources multiples dont l’authenticité est difficilement vérifiable et qui augmentent le risque d’erreur ; une surabondance d’information triée de façon algorithmique plutôt que journalistique encourage l’effet de repli dans une bulle médiatique qui laisse peu de place à la diversité des opinions. En découle une polarisation des débats sociaux. D’après Colette Brin, il s’agit d’un médium propice à la « mésinformation », un terme qu’elle préfère à « désinformation », puisqu’elle prétend que l’intention volontaire n’est pas toujours la source de la propagation de fausses nouvelles.
La psychologie vient aussi jouer un rôle important. Mme Brin réfère à plusieurs biais cognitifs qui viennent altérer le jugement des lecteurs : « Sentant le besoin d’agir rapidement pour trouver un sens et répondre à la surcharge d’information éparse qui le bombarde, le cerveau se crée des raccourcis qui l’amènent à poser des jugements erronés ou incomplets ».
La professeure tire parmi d’autres exemples le biais de confirmation, qui incite à chercher uniquement les arguments qui renforcent ses propres positions ; le biais de représentativité, qui favorise les expériences personnelles au lieu des statistiques scientifiques pour fonder un jugement ; le biais de négativité, qui suramplifie les aspects négatifs d’un argument. Ces biais participent à amplifier le phénomène des fausses nouvelles, bien qu’ils n’aient rien de nouveau. Et il ne faudrait pas les confondre comme des causes, mais seulement comme certains facteurs explicatifs.
Des pistes de solutions
La Commission européenne cible cinq piliers d’intervention pour aborder le problème des fausses nouvelles : transparence des plateformes, éducation aux médias et à l’information, outils aux usagers et aux journalistes pour bien s’adapter aux évolutions de l’espace numérique, diversité et viabilité du système médiatique et finalement recherche et analyse de l’efficacité des mesures adoptées.
Le problème des fausses nouvelles ne fait pas consensus chez les experts, il n’existe donc pas encore de mesure concrète et concertée pour le résoudre. Le projet de loi européen qui crée actuellement beaucoup de polémique illustre la difficulté entre protection des sources et protection de la liberté d’expression.
Cependant, Colette Brin rappelle que les initiatives de fact-checking existent depuis plusieurs années déjà. Elle observe aussi une volonté de la part des enseignants à sensibiliser les jeunes à une utilisation plus saine des médias sociaux.
Pour conclure, la directrice du centre d’étude sur les médias souligne surtout la prise de conscience collective sur ce nouvel enjeu qui constitue le premier pas vers la compréhension. En témoignent l’organisation de conférences, la création de sites internet et l’apparition de littérature nouvelle entièrement dédiée au phénomène des fausses nouvelles. Pour s’informer en profondeur sur le sujet, elle suggère fortement de mettre la main sur le nouveau livre rédigé sous la direction de Florian Sauvageau, Simon Thibault et Pierre Trudel intitulé : Fausses nouvelles, nouveaux visages, nouveaux défis.