Les chefs, une dernière fois dans la joute

Un texte de Jonathan Gagnon et Émilie Pelletier

Bon nombre d’étudiants et d’étudiantes se sont réuni.e.s jeudi le 10 octobre dernier, au Pub Universitaire, afin de visionner la diffusion du dernier débat des chefs de la présente campagne fédérale. Pendant deux heures, les six chefs des partis ont eu une dernière occasion pour faire valoir leurs points auprès des électeurs canadiens. 

Diffusé sur les ondes de Radio-Canada, la formule du débat francophone animé par Patrice Roy était sans doute plus propice aux échanges que celui qui se déroulait en anglais, plus tôt cette semaine.

En effet, chacun des cinq segments était composé d’une question du public, d’une question par chef posée par un journaliste, ainsi que de deux débats de cinq minutes opposant toujours trois chefs à la fois.

Cela dit, nul n’a été étonné, alors que les chefs ont maintenu les mêmes lignes de partis défendues tout au long de la campagne. May, qui se faisait plus discrète, a surtout parlé d’environnement, Singh a continué d’exprimer sa volonté de se faire connaître, tandis que Scheer continuait de jouer du coude avec Trudeau. Bien qu’il fût la cible de la plupart des attaques, le premier ministre sortant tâchait de se montrer confiant de son travail. Blanchet voulait positionner le Bloc comme choix légitime, et Bernier se positionnait comme étant différent des autres chefs de façon plutôt agressive. Pendant deux heures, ils ont tous échangé sur cinq thèmes.

L’environnement et l’énergie

Les chefs se sont d’emblée fait demander par une citoyenne, à Trois-Rivières, de se pencher sur les actions qu’ils comptaient mettre en place pour le climat. Fidèle à son habitude, la cheffe des Verts a fait allusion avec vigueur à l’«urgence climatique» et aux propos de la jeune Greta Thunberg, estimant que sa plateforme est la seule qui entre en cohérence avec les cibles du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).

Justin Trudeau, le premier ministre sortant a, quant à lui, estimé être le seul chef d’un parti qui propose un plan de lutte aux changements climatiques, en attaquant le Parti conservateur d’Andrew Scheer au sujet de sa volonté d’abolir la taxe carbone. Tout en traitant Trudeau de «grand parleur, petit faiseur», Jagmeet Singh a maintenu l’idée de supprimer du budget toutes les subventions pétrolières. Le chef du Parti Libéral a aussi été la cible des foudres lorsqu’est venu le temps de parler du projet d’imposition d’un pipeline au Québec, mais voulant éviter de se mettre les pieds dans les plats, il est demeuré assez vague sur la question, malgré les relances de l’animateur.

Avant de passer au second thème, le modérateur a félicité les chefs pour leur discipline quant au respect des tours de parole.

L’économie et les finances publiques

La deuxième question venant d’une citoyenne portait sur les mesures d’aide aux personnes aînées vivant seules. À l’exception de Maxime Bernier, qui a clairement fait comprendre qu’il priorise le retour à l’équilibre budgétaire avant de financer des promesses «pour acheter des votes», tou.te.s les chefs ont abondé dans le même sens : une augmentation de l’aide financière. Jagmeet Singh a cependant été le seul à préciser qu’il ne s’agit pas seulement d’argent; le chef du Nouveau Parti Démocratique (NPD) en a profité pour insister sur les services que son parti souhaite mettre en place, notamment l’assurance médicaments universelle et l’assurance dentaire.

Sur la question d’un répit fiscal pour la classe moyenne, Singh et May ont souligné à gros traits qu’il est important de soulager les gens de la classe moyenne, mais qu’il est encore plus important d’aller chercher des revenus supplémentaires auprès des riches et des grandes entreprises, notamment numériques, comme Facebook et Netflix.

Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, qui a proposé, en plus de ces mesures, une seule déclaration d’impôts pour les contribuables québécois, a en outre souligné qu’une course au déficit zéro plomberait l’économie. N’en déplaise à Blanchet, Maxime Bernier n’a pas du tout hésité pour affirmer qu’un gouvernement du Parti populaire couperait de façon importante pour y arriver en deux ans. «Les chefs des partis ici vous disent tous qu’ils vont équilibrer le budget en cinq ans et vous demandent un mandat de quatre ans, donc personne va équilibrer le budget», a-t-il lancé pour clore le débat.

Puis, Scheer a profité du débat sur ce thème pour attaquer Trudeau, le traitant de menteur et en rappelant l’affaire SNC-Lavalin. Le premier ministre a toutefois tenu à souligner que les statistiques économiques sont au meilleur depuis les 4 dernières années, et a rappelé aux téléspectateurs que Scheer et Bernier étaient tous deux dans le gouvernement Harper.

Les services aux citoyens 

Bien que peu fréquente pendant la soirée, l’unanimité est apparue lorsqu’un citoyen francophone de Toronto a demandé aux chefs fédéraux leur position sur les langues officielles et sur les droits des francophones au pays. Si tou.te.s étaient en faveur d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles. Maxime Bernier a cependant réitéré que les autres chefs étaient à son avis «tous pareils», et qu’il fallait respecter les champs de compétences des provinces, en référence aux actions du gouvernement Trudeau dans le dossier de l’université francophone ontarienne.

Comme à plusieurs reprises dans le débat, Scheer, Singh et Blanchet propos peu surprenants sur la question des conditions de vie des peuples autochtones. Le chef conservateur a souligné que la création de richesse dans les communautés était primordiale, en mettant de l’avant les possibilités qu’offriraient à cet égard les oléoducs. Singh a solicité Justin Trudeau sur le choix de son gouvernement de porter en appel le jugement forçant le gouvernement canadien à compenser les victimes des pensionnats autochtones. Blanchet a souligné, de son côté, l’importance de reconnaître les nations autochtones «d’égal à égal». Quant à Trudeau, il a soutenu que le chef national de l’Assemblée des premières nations, Perry Bellegarde, avait affirmé que son gouvernement avait fait bonne figure en matière autochtone. Enfin, Maxime Bernier a rappelé son engagement d’abroger la Loi sur les Indiens, et a tenu le même discours que Scheer sur les oléoducs et la création de richesse par le biais de l’exploitation des ressources naturelles dans les réserves.

La politique étrangère et l’immigration 

Le commerce avec la Chine était le premier dossier à être abordé dans l’avant-dernier thème de la soirée, à savoir si le futur gouvernement du Canada devait bloquer les relations commerciales qui se font tendues avec le pays d’Asie. Déplorant le fait que le gouvernement chinois «ne respecte pas Justin Trudeau», le chef conservateur a abondé dans la même veine que Donald Trump en ce qui a trait à l’imposition de frais de douanes. Questionné par l’animateur, il a plutôt qualifié la mesure de «contraste sur la méthode d’inaction de Justin Trudeau».

La question des seuils d’immigration s’est par la suite invitée au sein des discussions, ce qui a eu pour effet d’envenimer le débat, tout juste avant de traiter de la question de l’octroi de pouvoirs pour le Québec. Bernier s’est d’ailleurs vanté d’être le seul à «dire oui au gouvernement Legault en ce qui concerne l’immigration», alors que ce dernier veut baisser les seuils, tout en accueillant plus d’immigrants économiques. Le ton, qui a alors encore une fois augmenté après que M. Scheer ait accusé M. Blanchet de prétendre être «le meilleur ami de François Legault», a atteint son apogée, tellement que l’animateur a dû menacer de couper les micros.

Justin Trudeau a ensuite commenté les demandes du premier ministre du Québec au sujet de ses demandes sur le test de valeurs et sur la diminution des seuils d’immigration. «Le Québec a beaucoup de pouvoirs en matière d’immigration, plus que toute autre province, et c’est une bonne chose à cause de l’identité québécoise et la protection de la langue», a-t-il soulevé, en plus de se positionner en faveur de l’implantation d’un test lors du certificat de sélection, le jugeant «tout à fait correct».

Mme May a finalement mentionné vouloir augmenter les niveaux d’immigration, puisque le pays a entre autres «besoin de travailleurs et travailleuses», tandis que M. Singh a lui aussi dit oui à travailler de concert avec le Québec dans ce dossier, pour faciliter l’intégration des immigrants.

L’identité, l’éthique et la gouvernance 

L’heure était alors à l’empathie, quand une citoyenne de Montréal atteinte de sclérose en plaques et d’arthrite rhumatoïde sévère a posé sa question sur l’élargissement de l’aide médicale à mourir, ce à quoi tous les chefs ont acquiescé sans hésiter.

Le projet de loi 21 sur la laïcité a par la suite donné lieu à d’autres discussions entremêlées et a donné à Mme May l’occasion de réitérer qu’il y a, selon elle, une plus grande importance à s’attarder aux changements climatiques qu’au projet de loi québécois, dans le cadre d’une élection fédérale.

Le chef du NPD s’est positionné contre une intervention, lui qui dit vouloir simplement «lutter contre le concept de division [et] le principe de discrimination», en renforçant le droit des femmes. Il s’est fait reprocher par ses opposants de tenir des discours différents de ceux tenus plus tôt pendant la semaine, lors du débat en anglais.

Scheer s’est alors fait demander à nouveau clairement sa position sur l’amélioration de l’accès à l’avortement par le modérateur, «malgré ses convictions pro-vie». «J’ai toujours été clair sur cette question : je suis personnellement pro-vie, mais on ne va pas changer l’accès ou les lois […] point final!», a-t-il martelé.

La soirée s’est conclue avec l’avis des six chefs sur un potentiel accord de réparation avec SNC-Lavalin, dans l’optique où l’entreprise serait condamnée à ne plus se voir octroyer de contrats publics pour les 10 prochaines années.

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