Critique: Le saint patron des merveilles de Mark Frutkin

Ornant la couverture de la dernière réédition du roman Le saint patron des merveilles d’une féerique illustration de l’artiste québécoise Estée Preda, les Éditions Alto nous invitent à redécouvrir le dixième roman de l’auteur canadien Mark Frutkin. Deux histoires ancrées dans le village italien de Crémone, vécues par deux hommes de foi à deux moments différents de l’histoire, sont racontés simultanément dans un récit enivrant de passions ingérables, de symbolisme et d’alchimie. 

La première histoire est celle du prête Fabrizio Cambiati et se déroule en 1682. Après un parcours rapide du premier chapitre, on cerne rapidement les particularités de ce personnage remarquable : prêtre dévoué à la santé des villageois et des paysans de Crémone, il cache aussi des inclinaisons secrètes… pour l’observation de phénomènes physiques, la connaissance scientifique et, en particulier, l’expérimentation alchimique.

Par ailleurs, l’histoire commence sur le sommet du Torrazzo de Crémone, Cambiati et son valet scrutant le village et le ciel derrière la lunette d’un télescopio avant de s’émerveiller devant le passage rayonnant d’une comète exceptionnelle. 

La deuxième histoire se déroule soixante-seize ans plus tard, en 1758, dans le même village lombard. À travers celle-ci, on suit le séjour de Monsignor Michele Archenti, jésuite envoyé par le Vatican pour enquêter sur la vie de Cambiati en tant qu’avocat du Diable, puisque le prêtre, déjà décédé, serait prétendu candidat à la sainteté.

Une enquête au départ à la simplicité quasi-évidente devient d’une complexité démoniaque lorsque l’appréciation du prêtre par les Crémonais, ses miracles allégués, ainsi que des secrets insinués et le dévoilement de ses recherches alchimiques, retiennent Archenti de toute décision hâtive. 

Un hommage à l’Italie de la Renaissance

Le récit est marqué par des références folkloriques, païennes et catholiques de l’Italie de la Renaissance. Elles prennent vie aux côtés de descriptions exaltées de la beauté rurale de la Lombardie d’antan, telle qu’imaginée par Frutkin. Et d’autres détails ne lui échappent pas, telle que la vie ordinaire des Crémonais dans l’espace public, lors des représentations théâtrales ou des interventions des figures autoritaires, monarchiques comme ecclésiastiques.  

Tout autant, Frutkin fait vibrer nos sensations à différents moments du récit. Un exemple : lorsqu’on s’introduit pour la première fois dans le laboratoire du prêtre Fabrizio Cambiati lors de l’analyse d’une potion. Dans son espace réservé à l’alchimie, on est transporté dans un univers sensoriel enflammé par l’expression de tous les sens au contact des ingrédients naturels, allant de plantes et de racines, aux échantillons d’excréments animaux conservés pour l’élaboration, ou bien l’analyse, de potions magiques. Plus loin, la dégustation d’une potion aphrodisiaque se déploiera dans une narration de sensations délirantes brillamment exprimées entrainant l’esprit du lecteur dans l’emportement alarmé du prêtre.

En parallèle de l’enquête sur la pertinence de la canonisation, Frutkin livre un troisième récit mettant en scène deux personnages de la commedia dell’arte, Arlecchino et Pantalone, dans une quête qui prend des accents de réalisme magique lorsqu’ils s’attèlent à l’obtention d’un violon qui rendrait amoureux à qui entend ses mélodies. 


Le saint patron des merveilles tisse ses récits de façon sublime en explorant les fourreurs de la foi et en révélant les pulsions d’hommes dont les missions ecclésiastiques sortent de l’ordinaire. Pour illustrer la passion de se battre contre la raison religieuse, l’humanité est dépeinte par l’annihilation des miracles affolés cachant la fragile fermeté du cœur des êtres humains. 

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