L’automne dernier, Alan Lake dévoilait la bande annonce de son dernier projet en cours de création. Tous les éléments qui caractérisent ses performances étaient présents dans le contenu visuel de la vidéo : un espace désaffecté comme terrain de jeu pour l’exploration de l’interaction entre les interprètes et la matière. Le cri des méduses s’installait ainsi dans l’imaginaire du public en attente des représentations du 4 et 5 avril dans la salle Octave-Crémazie du Grand Théâtre de Québec.
Transposé en salle de spectacle, l’espace désaffecté et épuré s’altère par le biais d’une scénographie soignée et minimaliste, en nous plaçant dès le début devant une scène vide dans laquelle s’érige un mur construit en panneaux boisés. Une lumière jaunâtre tiédie l’espace et réfléchit ses rayons sur de longues feuilles en plastique tombant du plafond, tel de grandes fenêtres d’un entrepôt abandonné. Durant les premières secondes de la pièce, le mur s’avance vers le devant de la scène et s’installe immobile lorsque la musique démarre avec ses airs noirs et mélancoliques. Les méduses jaillissent enfin de l’esprit, imagées par les corps des interprètes mêlés comme une marée de naufragés moribonds et désespérés par la crête du mur carrelé. Le bois craque à chaque mouvement comme la coque d’un navire, renvoyant à l’image du tableau de Géricault, Le Radeau de la Méduse, qui inspira Alan Lake dans la création de cette pièce. Accentué par les tons de la lumière adoucie par le tapis noir au sol et réfléchie sur le bois vieilli, avec le fond de scène gardé dans l’obscurité, la sombre histoire derrière la toile de Géricault prend vie devant nous de façon cadencée.
Sombre et rocambolesque
Alan Lake joue, comme à son habitude, avec une rafale d’images qui s’accumulent devant nos yeux et qui subliment les instants suspendus de la pièce. Ainsi les corps nus de certains interprètes parsèment la structure boisée en alternant entre décontenance et légèreté. Matelots d’une autre époque, les interprètes nous livrent une chorégraphie référant à des images frénétiques de détresse et de survie. On retrouve également des images connues du chorégraphe que ce dernier avait intégré dans ces vidéos-danses réalisées dans les dernières années. Une de ces images subliminales n’est autre qu’une boite translucide contenant des corps entassés, presque désarticulés et inertes, qui n’apparaît qu’une seule fois dans la pièce, comme un clin d’œil à l’une de ses vidéos et qui tient le spectateur en haleine par sa décontenance.
La présence de la signature du chorégraphe, soit l’utilisation de matières brutes comme la terre, ou encore de la peinture très liquide, s’impose durant la deuxième moitié du spectacle. Des jets d’eau baignent avec violence les corps de certains interprètes, et des ficèles d’eau noire ruissèlent hasardeusement comme des hémorragies de sang incessantes. L’utilisation de la matière ne pouvant être complètement maîtrisée, sa férocité surprend violemment le public, en particulier pour les non habitués des performances multidisciplinaires, sombres et rocambolesques.