Festival de cinéma de la ville de Québec : cinq jours de projections variées 

Du 13 au 17 septembre derniers se tenait le Festival de cinéma de la ville de Québec, dont la 12e édition alliait nostalgie et nouveautés cinématographiques, grâce à de nombreuses projections spéciales ainsi qu’à des premières, des rencontres d’artistes et des soirées thématiques. Le Diamant a eu le plaisir de recevoir Sophie Dupuis pour une classe de maître, qui est aussi venue présenter son nouveau film, Solo, en plus d’accueillir la première québécoise de Simple comme Sylvain de Monia Chokri. Le MNBAQ et le Circuit Beaumont ont proposé des représentations de courts et longs métrages d’ici et d’ailleurs, alors qu’il était possible de visionner, sur la Place d’Youville, des films chaleureusement reçus tels que C.R.A.Z.Y. de Jean-Marc Vallée. Quelques membres d’Impact Campus vous offrent leurs impressions. 

Le Festival du Clip

Par Florence Bordeleau-G

Pourquoi les artistes de musique produisent-ils encore des vidéoclips si Musique + n’existe plus, voilà une question qui soulève bien des interrogations. Marketing, plaisir artistique, nostalgie tenace? Ce qui est certain, c’est que si certains clips qui ont été projetés vendredi ne réinventaient pas la roue et rappelaient ce qu’on voyait lors de cette regrettée émission, d’autres ont vraiment su se démarquer. C’est le cas par exemple du clip de la chanson de Tamara Weber Notre faute, réalisé par Charlotte G. Ghomeshi. On y retrouve de magnifiques scènes tournées en milieux naturels ou semi-urbains, dans lesquelles s’inscrivent harmonieusement les chorégraphies d’un duo de danseurs·euses en parfaite maîtrise de leurs corps. Du côté anglophone, le clip musical du morceau I Accept, de Summersett, présentait aussi un beau travail de réalisation, tant du côté du type de prises de vue que par l’esthétique visuelle. Soulignons en cela le travail d’Eleonora Zoroddu, au maquillage.

 

SOLO (2023)

Réalisation : Sophie Dupuis | Scénario : Sophie Dupuis | Distribution : Théodore Pellerin, Félix Maritaud, Anne-Marie Cadieux, Vlad Alexis, Tommy Joubert, Alice Moreault

Par Emmy Lapointe

Avec son troisième long métrage, Sophie Dupuis propose un univers narratif qui ne rappelle en rien ce qu’elle a pu faire avec Chien de garde et Souterrain. Après les mines de l’Abitibi-Témiscamingue, on retrouve Montréal et Simon, un artiste drag. Nouvellement éprouvé d’Olivier, Français venu rejoindre son club, Simon naviguera dans les flots d’une relation visiblement toxique tout en cherchant l’attention de sa mère cantatrice revenue au pays pour une production. Si Sophie Dupis renouvelle le décor dans lequel elle plante ses histoires, certaines choses reviennent comme les relations mères-fils et l’interprète du fils lui-même : Théodore Pellerin. On se réjouit de cette connivence entre la réalisatrice et l’acteur qui nous offre une palette de jeu riche et toujours juste. Le retour de Mathieu Laverdière à la photographie est lui aussi enthousiasmant alors que son travail de composition des plans est généreux et la performance finale en est l’apogée.

 

L’histoire qui s’ancre dans le milieu drag à Montréal, et plus largement dans une communauté LGBTQIA2+, pourrait, dans une certaine mesure, s’ancrer dans un tout autre décor, dans un autre couple en ce qu’il raconte les amours toxiques, et qu’il est impossible de ne pas y voir un.e ami.e ou de s’y voir soi. Sophie Dupuis travaille en dialogue avec les communautés et groupes sociaux dans lesquels ses histoires se déploient, les inclut, mais peut-être que pour être critique, on souhaiterait qu’ils puissent prendre part aux processus décisionnels plutôt que de n’arborer qu’un rôle conseil. 

 

C.R.A.Z.Y. (2005)

Réalisation : Jean-Marc Vallée | Scénario : Jean-Marc Vallée, François Boulay | Distribution : Michel Côté, Marc-André Grondin, Danielle Proulx, Pierre-Luc Brillant

Par Florence Bordeleau-G

Projeté dans le cadre d’un hommage à son réalisateur Jean-Marc Vallée, ce film québécois n’est plus à présenter. Pour l’occasion étaient réunis deux acteurs·ices de ce long-métrage, soit Jean-Luc Brillant (interprétant l’un des frères, Raymond) et Danielle Proulx (incarnant la mère de la famille, Laurianne). Ils nous ont chacun livré de beaux témoignages au sujet de Vallée, insistant sur l’aura magique qui émane de C.R.A.Z.Y. C’est sous les chaleureux applaudissements des très nombreuses personnes présentes sur le carré d’Youville qu’a commencé le film, qui n’a somme toute pas trop mal vieilli, et que nous avons pris beaucoup de plaisir à visionner.

 

Simple comme Sylvain (2023)

Réalisation : Monia Chokri | Scénario : Monia Chokri | Distribution : Magalie Lépine-Blondeau, Pierre-Yves Cardinal, Francis-William Rhéaume

Par Ève Nadeau

J’ai eu la chance d’assister à la première québécoise du troisième long-métrage de Monia Chokri, Simple comme Sylvain, qui m’a époustouflée. Chokri est de retour avec une histoire d’amour portée par Magalie Lépine-Blondeau et Pierre-Yves Cardinal, qui jouent les personnages de Sophia, une enseignante de philosophie, et Sylvain, un travailleur de la construction. Un homme et une femme tombent amoureux.ses, boy-meets-girl (ou dans ce cas-ci, girl-meets-boy), mais ce n’est pas aussi simple, malgré ce que nous dit le titre. En effet, le film s’attaque à la fragilité du désir, de la passion, de l’amour (les philosophies de Platon, Schopenhauer, Jankélévitch ou celle de bell hooks peuvent-elles vraiment sauver notre vie amoureuse ?), tout en interrogeant – sans mépris, même si on ne nous épargne pas de certains clichés scénaristiques – les différences entre les classes sociales dont sont issu.es les protagonistes.

Cette « comédie mélancolique », telle que définie par la cinéaste elle-même, m’a souvent fait rire (je repense, entre autres, aux « crash zooms » loufoques si bien maîtrisés ou encore aux brillants dialogues durant lesquels les personnages se coupent la parole, surtout lors des rassemblements familiaux chaotiques que les fans de Chokri seront heureux.ses de retrouver). J’ai aussi beaucoup pleuré : à des moments la mélancolie me surprenait, puisque ce sentiment ne semble pas aussi ardent dans La femme de mon frère et Babysitter, les précédents longs-métrages de la réalisatrice. Vivement le prochain film; les prochaines larmes ! 

Comme une vague (2020), /// Ce que la rivière m’a appris (2022)

Réalisation : Marie-Julie Dallaire /// Martin Léon, Félix St-Jacques

Par Ève Nadeau

C’est au MNBAQ que j’ai découvert le long-métrage Comme une vague, un documentaire portant sur la relation entre l’être humain et la musique. Dans la période de questions qui a suivi la représentation, un spectateur a questionné Marie-Julie Dallaire, la réalisatrice, quant à sa décision d’avoir tourné en noir et blanc. Cette dernière souhaitait que la musique, en tant que personnage principal invisible, soit soutenue par une succession d’images épurées, qu’il y ait – je la cite – un « parti pris pour le son ». Effectivement, l’uniformité de la direction photo concilie merveilleusement les sujets prenant la parole dans le cadre du film – ethnomusicologue, musicothérapeute, chef d’orchestre, consultante en neuroscience, écologiste artistique, musiciens et musiciennes –, tous liés par un même amour, un même respect pour le son, le rythme, la musique.

De son côté, le montage – tant visuel que sonore – est tout aussi rassembleur, en plus de rehausser la valeur polyphonique de l’art de chacun.e, que ce soient les compositions de la Dream Orchestra, un orchestre principalement composé de jeunes immigrant.es, la répétition sous la pluie d’un concert de Patrick Watson ou encore les enregistrements sonores d’un duo qui tient à immortaliser le bruit des vagues. Nous faisant voyager du Québec jusqu’à la Suède, en passant par le Mexique et les États-Unis, l’œuvre de Dallaire, rarement didactique, est surtout une méditation sur le pouvoir de la musique, sur le bien universel qu’elle procure à des gens de tous horizons – moi la première.

Je me dois, pour finir, de souligner le charme du court-métrage de Martin Léon, Ce que m’a appris la rivière, qui a précédé le programme principal. Dans ce documentaire qui valorise lui aussi la beauté de la création musicale, l’auteur-compositeur-interprète raconte sa fascination pour la rivière près de laquelle il habite depuis onze ans. À l’exception d’un passage plus expérimental explorant la danse et dont j’ai moins aimé l’intégration, je crois que l’œuvre de Léon porte à merveille la réflexion poétique de son créateur. 

Courts-métrages sous les étoiles

Par Florence Bordeleau-G

Dimanche à 15h nous ont été présentés une dizaine de courts-métrages documentaires, dont trois en présence de leurs réalisateurs·ices respectifs·ves qui ont pris la parole à la fin des projections. Petite incursion dans leur processus créatif. 

Yvon l’Éternel (2022)

« Je vais chanter pour les oiseaux », annonce une voix chevrotante aux mots mâchés. Et l’homme retire le drap de la cage, se met à fredonner des airs incertains. À travers son amour pour l’opéra et la musique, Yvon, atteint du sida, s’ouvre ainsi à l’œil à la fois empathique et inquiet du jeune cinéaste Benoît Massé. En effet, nous confie ce dernier, l’idée même de la mort le terrifie ; ce court documentaire représentait pour lui un défi de taille de par sa thématique, qu’il souhaitait malgré tout aborder. Avec des plans démontrant une grande complicité avec Yvon, qui nous immergent dans toute son intimité, Yvon L’Éternel est extrêmement puissant, tant par la qualité de la réalisation elle-même, mais aussi du fait qu’il restitue, par l’archivage, une part de vie à Yvon, aujourd’hui décédé de sa maladie.

Agonie (2022)

Ce court-métrage m’a d’abord laissée un peu pantoise : musique inquiétante, sourde, et scènes de travail sur un chalutier se superposent dans une frénésie presque violente. Aucun dialogue, quelque chose de cru, à l’image des centaines d’animaux marins qui se font disséquer par des mains habiles sur le pont. Arnaud Beaudoux, réalisateur, nous partage l’histoire derrière le film, qui explique en partie son aspect troublant : féru de cinéma sociologique, il souhaitait s’intégrer à une petite communauté fermée afin d’en faire un documentaire. Quoi de mieux, dès lors, qu’un huis clos de deux semaines sur un chalutier ? L’expérience lui a assez rapidement donné une réponse : beaucoup de choses. En effet, les marins ne l’ont pas du tout accepté comme membre de l’équipage, et il est rapidement devenu victime de violences verbales et physiques. Ce n’est que trois ans plus tard que le jeune cinéaste a osé jouer avec les images captées lors de cette aventure.

 

Un robot à soi (2022)

Ce court-métrage est en réalité un montage d’archives de publicités datant des années soixante-dix, qui ont pour trait commun de vendre un produit technologique ménager. Lave-vaisselle, cuisine « autonome », laveuse, tout y passe. L’objectif de la réalisatrice Anne-Gabrielle Lebrun-Harpin était de montrer l’absurdité de ces robots, dont la tâche est supposée alléger les responsabilités ménagères de la femme – mais qui sont au final pilotées par ces dernières, à qui revient évidemment toujours, malgré tout, la charge mentale de gérer ces robots domestiques. Si la démarche était ludique et pédagogique, j’ai malgré tout eu le sentiment que le court-métrage n’allait pas assez loin. En effet, on nous rappelle dans les dernières minutes, encore une fois via différentes archives, que les femmes savent très bien calculer et faire les mêmes tâches que les hommes, ce qui me semble un constat assez simple et bien connu depuis longtemps. 

 

Une fin de semaine à s’en mettre plein les yeux

Courts ou longs-métrages, vidéoclips, et même films muets accompagnés de musique live (on ne pouvait pas vous parler de tout – mais on vous invite ici subtilement à vous renseigner sur le projet très original de Roman Zavada, qui accompagne sur scène des classiques du cinéma muet au piano), tout était là pour assurer une 12e édition du FCVQ réussie – même le soleil, qui ne nous a pas lâché du week-end. Conclusion : le cinéma québécois et canadien est de grande qualité. Surveillez de près la sortie de Simple comme Sylvain au cinéma le 22 septembre, et allez voir SOLO en attendant !

 

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