Nuits magiques – Une rentrée littéraire au féminin

Parût le 12 septembre dernier chez KO Éditions sous la direction de Laurie Dupont, Nuits magiques est un collectif sexu, « un objet littéraire excitant et audacieux, à mille lieues de la pornographie. » L’œuvre propose une incursion dans le travail et les tableaux de Laïma Abouraja Gérald, Rosalie Bonenfant, Valérie Chevalier, Vanessa DL, Théo Dupuis-Carbonneau, Guylaine Guay, Naadei Lyonnais, Florence Nadeau et Mélodie Nelson. « Qu’elles aient choisi de flirter avec l’autofiction ou de créer un récit tout droit sorti de leurs fantasmes, les autrices ont un seul but: permettre aux femmes de se réapproprier sainement leur plaisir. Un livre à tenir fermement… d’une seule main », peut-on lire en quatrième de couverture. 

Par Frédérik Dompierre-Beaulieu (elle), cheffe de pupitre aux arts

N.D.L.R. Ok. Après m’être relue et en repassant également certains passages du collectif, j’ai l’impression que mon texte ne reflète pas exactement mon appréciation de l’oeuvre de manière générale, appréciation qui, je dois l’admettre, est peut-être maladroitement articulée. Je tenais à mentionner que les pistes soulevées ne sont pas toutes généralisées, et qu’en dépit de mes commentaires sur l’écriture (que je soutiens toujours, cependant), ce n’est définitivement pas si catastrophique ou fatal. Les autrices peuvent dormir en tranquilles : mes remarques ont un effet grossissant, elles semblent prendre toute la place, mais elles témoignent surtout d’un cherry-picking quant à ces petites choses remarquées lors de ma lecture que je souhaitais décortiquer ou à propos desquelles je voulais réfléchir davantage. Promis juré craché, il y a nettement plus à l’oeuvre; par rapport à son ensemble,  c’est minime ou marginal, dans la plupart des cas (on pourrait parler d’enculage de mouches, et vous auriez raison). À prendre avec un grain de sel, donc.

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J’avoue m’être beaucoup questionnée à la lecture du collectif. La féministe et la littéraire en moi souhaitaient ardemment ne rien manquer ; je restais aux aguets, prête à célébrer les bons coups, à m’exciter devant cette lecture intime et voyeuriste sur les bords, à critiquer avec ferveur la portée féministe de tel ou tels propos, à hurler contre l’hétéronormativité, les schèmes et scripts dominants ou la performativité du désir et de la sexualité face aux regards des hommes qui auraient pu se glisser là, entre deux mots. Je voulais déceler les angles morts des fragments, et puis les miens aussi, au fond (n’étais-je pas moi-même en train de performer mon féminisme et ma lecture de l’œuvre ? Relaxe et profite du moment). Certaines choses m’ont plu, d’autres moins. Ce que j’en retire, néanmoins, reste tout de même de l’ordre d’une expérience de lecture somme toute agréable. Même si j’ai parfois trouvé l’écriture un brin maladroite, je tâcherai de rester gentille, quand même, parce qu’en tant que femme, je sais combien il est essentiel de faire davantage de place à nos voix, nos histoires, nos subjectivités et nos désirs, de les prendre tels qu’ils sont, comme ils viennent (un point pour le mauvais jeu de mots, sue me).

Je dois avouer qu’à certains moments, j’ai vu ici et là des formulations qui m’ont agacée, parce qu’un peu clichées ou déjà vues – comme cette habitude de descriptions énumératives qui conjuguent à la fois ces petites choses banales du quotidien hyperspécifiques et des composantes « profondes » qui témoignent de ces grands questionnements qui nous habitent pour montrer qu’on est donc relatable, singulier.ère et parfaitement imparfait.e. Ça semble être à la mode, ces temps-ci (bon, je vais le dire, je trouve ça un peu basic et générique, déso pas déso.). Quelques fois ça peut aller ; après, ce serait bien de varier les approches hein (je dis ça, mais ce n’est vraiment pas siiiii pire) .

En ce sens, j’aurais également souhaité retrouver moins de répétitions au sein de l’écriture, plus précisément dans les descriptions des orgasmes parfois performatifs, ascension et résolution souvent de l’ordre des cris qui réveillent tout le quartier, de gémissements à n’en plus finir, de la cyprine comme une mer à boire, des orgasmes longs, transcendants, « retentissants », à tout casser, suivis d’une paix intérieure ma foi digne de l’éternel repos, du paradis, des anges et du Philadelphia (!). D’un autre côté, le but est atteint : le collectif réussit à stimuler l’imagination, à créer des ambiances et à célébrer le plaisir au féminin, ce qui, il me semble, sont des considérations d’autant plus importantes dans le cadre d’un collectif du genre.

Si j’ai apprécié le texte de Guylaine Guay pour la perspective différente et nécessaire qu’elle offrait à lire, j’aurais aussi aimé qu’on laisse un peu de côté le mythe de la femme-sexe, parce que s’il y a quelque chose à retenir de l’expérience du désir au féminin, c’est justement le fait qu’on est plus que notre anatomie, mais bel et bien des êtres désirants, agentifs, dont le plaisir peut recouvrir diverses formes en dehors de cette approche traditionnelle si centrée sur la vulve, le vagin ou le pénis. Un peu réducteur, peut-être, mais je comprends ce que le texte cherche à mettre en place, et encore plus par cette aspect enveloppant de « la noune » ou de « la plotte » qui peut assurémment être plus que passive, approche que Guylaine privilégie dans son texte. Ça, on aime.

Que dire, par contre, du bref clin d’œil à la maternité comme étant rebutante…Les femmes ne sont pas mères, PUIS désirantes/désirées, comme si les deux statuts étaient distincts, non conciliables. Ce n’est pas l’un ou l’autre : on peut être tout ça à la fois. On ne devrait pas devoir cacher notre maternité pour se sentir désirée et ne rien gâcher aux yeux de notre partenaire ou interlocuteur.rice. Être mère ou parent, tout simplement, ça peut aussi être sexé (clin d’œil rapide à la larve arcanienne et les critiques qu’elle soulève à cet égard. Toujours autant d’actualité, notre Nelly). Je doute toutefois que l’intention de Guylaine ait été de dire que les mères sont indésirables, littéralement, mais c,est bien de se poser des questions, d’examiner ce que cela peut laisser sous-entendre, en filigrane.

Avec tout ça, c’est à croire que je n’ai pas apprécié ma lecture. Au contraire ! J’ai été ravie de voir la diversité des expériences présentées : pas seulement hétéronormatives, phallocentrées ou de l’ordre de la pénétration. Rien de particulièrement extrême, disons-le, mais je vois comment le collectif pourrait plaire à différents types de personnes, tout en étant accessible à un plus large public (et je le dis avec beaucoup d’amour, sans mépris ou élitisme littéraire (on en connaît toustes…)). De toute manière, et quitte à le redire, l’analyse de l’œuvre c’est une chose, l’appréciation du bon moment passé et de l’expérience de lecture, c’en est une autre (pour moi, en tout cas). Le collectif m’a fait du bien, malgré tout ce que je peux en dire ici.

Mention spéciale au texte de Rosalie Bonenfant, Motus et bouche goulues, qui m’a particulièrement plu pour sa narration et son rythme, mais aussi pour sa voix. L’écriture y est vive, colorée, enjouée et espiègle. Hourrah! Coup de cœur également pour les textes One night in Berlin de Théo Dupuis-Carbonneau (délicieux, le flirt)Sexy party de Vanessa DL (qui aborde, en bonus, le consentement et le rend totalement chaud !) ainsi que Le quatrième mur de Laurie Dupont (on raffole de ces moments de soi à soi).

Si les hardcore-trop-rad féministes pourraient certes trouver à redire en décortiquant toujours plus l’œuvre (ou pas), je n’hésiterais pas à recommander Nuits magiques à mes ami.es, qui, je l’assume ici, risquent elleux aussi d’apprécier l’expérience (un petit salut à notre safe space féministe du Courrier de la Moule, feu club de lecture, hi hi).

 

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