La semaine dernière, nous avons eu la chance d’assister à de multiples projections dans le cadre du Festival de cinéma de la ville de Québec (FCVQ). Cet article est l’occasion de vous présenter quelques films qui nous auront le plus marquées lors de cette 13e édition.
Par Julianne Campeau, journaliste collaboratrice, Frédérik Dompierre-Beaulieu (elle), cheffe de pupitre aux arts et Léon Bodier, journaliste multimédia
Le regard de Julianne
Château rouge
Synopsis : Quartier de la Goutte d’Or à Paris, métro Château Rouge, collège Georges Clémenceau. Chargés de leur insouciance et de leurs blessures, les adolescents doivent grandir. Ils construisent leurs personnalités, se perdent, se cherchent. Les adultes tentent de les guider malgré la violence du système.
Avis : Un aspect que j’ai bien aimé de ce documentaire, c’est que, si la réalisatrice ne manque pas de souligner le travail, parfois frustrant, des intervenant.es du milieu scolaire, elle donne avant tout la parole aux élèves de l’école. C’est à travers leur regard que l’on découvre les défaillances d’un système qui s’attend à ce qu’iels décident à 15 ans de ce qu’iels vont faire de leur vie, à un âge où, bien souvent, on ne se connait pas encore assez bien pour savoir quel futur serait le plus propice à nous rendre heureux.ses.
La bataille de Saint-Léonard
Synopsis : Une crise linguistique sans précédent se déroule au cœur de la ville de Saint-Léonard en 1968. La commission scolaire impose le français comme langue d’enseignement, ce qui provoque des émeutes et des attentats à la bombe à travers le Québec. Les militants francophones et la communauté italienne sont à feu et à sang. La bataille de Saint-Léonard raconte l’histoire de Raymond Lemieux et de Mario Barone, deux remarquables oubliés aux origines modestes, qui se sont opposés avec force et conviction, malgré les lourdes conséquences sur leur vie familiale et professionnelle. Leur combat changera la destinée du Québec et mènera à l’adoption de la Charte de la langue française (loi 101).
Avis : Peut-être le meilleur documentaire que j’ai regardé cette année. Félix Rose a fait un travail de recherche incroyable, consultant un nombre incalculable d’archives et recueillant de nombreux témoignages de la part des familles de Lemieux et Barone. Un des points forts de ce film est son absence de parti pris : Rose y présente le point de vue des différents partis, évitant de poser le moindre jugement en faveur de l’un ou l’autre. Documentaire extrêmement intéressant sur un épisode qu’on a tendance à ignorer dans nos cours d’histoire (moi-même mordue de cette matière, je ne me souviens pas en avoir entendu parler). Pour les intéressé.es, le film sera à l’affiche le 11 octobre. Je le recommande sérieusement à tout.e passionné.e d’histoire du Québec.
Amal : Un esprit libre
Synopsis : Amal, enseignante dans un lycée à Bruxelles, encourage ses élèves à s’exprimer librement. Avec ses méthodes pédagogiques audacieuses et son enthousiasme, elle va bouleverser leur vie. Jusqu’à en choquer certains. Peu à peu Amal va se sentir harcelée, menacée.
Avis : Ce film a suscité en moi des émotions d’une violence inouïe, je me suis sentie agressée, violentée, malmenée au point où j’ai failli quitter la salle (avant de me rappeler que j’avais un article à écrire), symptôme, selon moi, d’une œuvre de première qualité. Je suis finalement contente d’être restée jusqu’au bout, car ce film montre des vérités brutales, mais qu’il faut voir. Parmi la distribution, on compte Lubna Azabal, qu’on connaît grâce à Incendies, qui nous fait vibrer une nouvelle fois dans ce long-métrage. Je tiens également à souligner la performance exceptionnelle des jeunes acteur.ices interprétant les élèves de l’école. Leur interprétation était si convaincante que, plus d’une fois, j’ai été fâchée, au point de vouloir frapper quelque chose (chose que je n’ai pas faite, rassurez-vous). Film excellent que je recommande fortement. Toutefois, petit trigger warning : BEAUCOUP de propos homophobes lors du visionnement. Le film parle également d’intimidation, de cyberintimidation, et d’extrémisme religieux.
Compétition 2
Neuf courts métrages furent présentés lors de cette séance. Je vous présente, ici, mes trois préférés.
Mémoire entropique
Synopsis : Cette exploration photographique d’albums photo de famille ravagés par l’eau évoque des souvenirs flous et indistincts, témoins déchirants d’un fragile passé.
Avis : Visuellement sublime, ce court-métrage montre la déformation progressive du papier au contact de l’eau. Le mouvement des gouttes d’eau et de la feuille qui se courbe a quelque chose d’hypnotisant, qui garde nos yeux rivés sur l’écran durant les six minutes du film.
And a Happy New Year
Synopsis : Chaque nouvel an, des millions d’euros de feux d’artifice partent en fumée. Alors que s’installe un esprit festif et rassembleur, c’est plutôt un cauchemar éveillé pour des chiens, équipés d’une GoPro, permettant de suivre leurs mouvements. Des premières détonations pendant la journée au spectacle assourdissant de minuit, nous assistons à la tension, au stress et à la peur des animaux pour lesquels ce n’est certainement pas une fête.
Avis : Le film débute par un décompte du temps qu’il reste avant le Nouvel An. Le bruit des secondes qui passent rappelle celui du temps qu’il reste avant qu’une bombe explose. D’ailleurs, le son des feux d’artifice au loin ressemble à s’y méprendre à celui d’un bombardement. Mais ce qu’on entend surtout, ce sont les aboiements et la respiration rapide des pauvres toutous terrifiés, qu’on voudrait tellement pouvoir rassurer. Tous ces éléments contribuent à créer une atmosphère angoissante, à l’image de ce que ressentent les chiens lors des feux d’artifice.
Dinosauria, We
Synopsis : Dinosauria, We est un documentaire expérimental qui explore les répercussions de l’espèce humaine corrompue, ultra capitaliste, exploitant chaque parcelle de ressource sur terre à travers une vision dystopique et post-apocalyptique imaginée par le poète Charles Bukowski.
Avis : Ce court-métrage a suscité chez moi un profond sentiment d’angoisse. D’abord, le poème de Bukowski, présenté dans ce film, nous montre un monde post-apocalyptique, terrifiant en grande partie par sa proximité troublante avec le nôtre. Les images en noir et blanc nous offrent un aperçu de ce monde morne et dévasté, où la souffrance et la destruction règnent. Les images défilent si vite, on se sent bousculé.e, oppressé.e, angoissé.e. Effet sans doute recherché par le réalisateur.
Le regard de Frédérik
Nice Ladies
Synopsis : Avec l’escalade récente de la guerre de la Russie contre l’Ukraine, le lien apparemment indestructible d’une équipe dynamique de cheerleading composée de femmes de plus de 50 ans, appelée “Nice Ladies”, est mis à l’épreuve. Elles doivent faire des choix impossibles entre la patrie et la grand-maternité, entre rester et partir. Sveta, membre clé de l’équipe, fuit avec sa famille aux Pays-Bas, tandis que la capitaine Valia et l’entraîneuse Nadia restent dans la ville de Kharkiv, bombardée à plusieurs reprises. Séparées, les dames tentent de maintenir le contact pour conserver leur santé mentale au milieu de la terreur, du chagrin et du sentiment de culpabilité de survivante de Sveta.
My Stolen Planet
Synopsis : Farah, une femme iranienne, est forcée de migrer vers sa planète privée pour être libre. Elle achète les souvenirs des autres sous forme de films Super 8 mm, enregistre et archive les siens, afin de créer une histoire alternative de l’Iran.
Johanne, tout simplement
Synopsis : Autrefois abandonnée sur le pas d’un orphelinat à Montréal, Johanne Harrelle, talentueuse artiste, comédienne et l’une des premières mannequins noires en Amérique du Nord, a mené une existence à son image : complexe et audacieuse. À travers des images d’archives, des entretiens avec ses proches et l’interprétation de ses écrits par trois comédiennes contemporaines, Johanne, tout simplement révèle avec finesse la trajectoire d’une femme magnétique et passionnée qui s’est constamment opposée aux attentes de son époque.
Avis : J’ai décidé, cette fois-ci, de réunir les trois documentaires en un seul avis, comme j’ai pu y déceler, après réflexion, certains points de contact, bien qu’ils soient tous très différents les uns des autres. Et ce n’est pas seulement parce qu’ils donnent la parole aux femmes et les mettent en valeur, promis (quoique).
De l’intérieur et de l’extérieur, tout ça à la fois : voilà une tension, une dichotomie plutôt, réalité complexe et ambivalente que me semblaient incarner les documentaires auxquels j’ai pu assister. Ils racontent entre autres l’exil, géographique, certes, mais également identitaire, comme ce sentiment d’entre-deux, celui d’appartenir aux deux et à aucun des deux à la fois naît aussi de l’intérieur. Ces films, donc, racontent le déchirement, l’art et la douleur du morcellement, l’existence en clignotement : entre celles qui décident de rester, de partir, et celles qui y sont contraintes, entre une appartenance forte, viscérale, et cette impression de ne pas y trouver sa place. Dans My Stolen Planet, la réalisatrice et narratrice Farahnaz Sharifi exprime de manière très explicite cette tension, en disant que si les violences de la théocratie iranienne lui donnaient l’impression qu’elle ne pourrait y trouver “sa planète”, son chez soi, maintenant qu’elle n’y demeurait plus, elle avait ce cauchemar, celui de ne plus jamais pouvoir y retourner. Les films questionnent tous, par le point de vue singulier des femmes qu’ils mettent en scène et rendent à l’Histoire, quelles résistances sont possibles, à grande et petite échelle, en montrant que les avenues privilégiées, les choix, les chemins tracés ne sont ni les bons ni les mauvais, et qu’ils sont les leurs, tout simplement.
J’ai aimé Nice Ladies en ce qu’il nous rapprochait de la guerre en Ukraine par-delà les chiffres et les nouvelles quotidiennes reçues depuis le confort de nos salons québécois, mais aussi parce qu’il a su faire briller des femmes âgées, en nous montrant qu’il peut faire bon vieillir, s’épanouir, que la sororité n’a pas d’âge.
J’ai aimé Johanne, tout simplement, parce qu’il proposait, à la manière d’un puzzle à reconstruire, un narratif nouveau, plus complet, revisitant sous toutes ses facettes une femme oubliée, aux vies multiples, qui a toute sa vie lutté pour être elle-même et s’affranchir des cases et des étiquettes. Une femme nettement plus fascinante que ne le laissait voir l’Histoire, et dont cette renaissance cinématographique marque non pas par ses discours dithyrambiques, mais son travail de l’ombre et de la lumière.
Mais mon coup de cœur, vraiment, le film qui m’a le plus chamboulée aura été My Stolen Planet, puisque la réalisatrice a érigé, à la fois par son traitement esthétique, sa capacité à faire parler les archives et à les agencer et sa narration toute personnelle, à la première personne, sa propre histoire, sa colère et ses espoirs tout comme celles de l’Iran et de ses femmes en une anthropologie visuelle remarquable et poignante.
Je les ai aimés, ces documentaires, beaucoup aimés, et s’ils ont autant su me toucher, c’est parce qu’ils nous ont, envers et contre toustes, montré la joie, les libertés toutes fabriquées, réappropriées, et surtout parce qu’ils nous ont livré, très habilement et sincèrement, des récits personnels qui posaient un regard intime et sensible sur la culture et le social. Il y a là, ultimement, trois lettres à l’encre indélébile pour le droit d’exister.
Le regard de Léon
Veni, Vidi, Vici
Synopsis : Les membres de la famille Maynard mènent une vie de milliardaire presque parfaite. Le père, Amon, est un chasseur passionné, mais il ne tire pas que sur les animaux, car la richesse permet à ses excentriques de vivre totalement libérés des conséquences.
Avis : Un vrai coup de cœur personnel pour ce long-métrage autrichien qui frappe en plein dans le mille avec son humour noir et sa violence banalisée. Malgré un outil narratif qui refuse de s’épuiser avec les années (Surviving the Game, Turkey Shoot, The Purge, The Hunt, etc.), Veni, Vidi, Vici offre une atmosphère qui se veut aussi malsaine qu’inattendue. Jalonné de blagues trop déplacées, mais qui fonctionnent à chaque tournant, c’est un film rejetant structure classique et personnages archétypaux pour proposer une expérience merveilleusement choquante qui m’a fait douter des limites de mon humour.
Zlata
Synopsis : Zlata, 12 ans, doit se retrouver en Belgique après avoir dû fuir la guerre dans son pays natal, l’Ukraine. Sans son père et son chat Findus resté là-bas, l’adolescente explore non seulement son nouvel environnement de vie, mais aussi sa propre identité remise en question par des repères chamboulés.
Avis : Ce qui frappe avec ce documentaire est finalement l’angle d’approche choisi par rapport au conflit. Alors que les images des horreurs en Ukraine inondent les médias, Zlata choisit de se focaliser sur le quotidien, sur la prise de parole et les non-dits, laissant le spectateur s’identifier et se rapprocher des problèmes d’une jeune fille qui cherche un sens dans un environnement qui n’en a pas pour elle. Dans un axe de dé-sensationalisation, le film rappelle, à mon sens, de manière juste et sensible que les combats touchent toute la vie, surtout sa banalité perdue.