Sur les traces de Gulîstan

À six ans, Zaynê Akyol a perdu son modèle de vie, Gulîstan qui était alors sa gardienne. Un jour, cette dernière a quitté sa vie, sans avertir. Qu’est-ce qui pousse une jeune femme de 18 ans bien installée dans la communauté montréalaise à quitter le confort de son quotidien pour s’enrôler au sein du Parti des travailleurs du Kurdistan et ainsi combattre l’État islamique?

Animées par le désir de changer les choses, des centaines de femmes comme Gulîstan rejoignent chaque année les combattantes du PKK, un mouvement guérilla composé à 40 % de femmes. L’idéal de ces femmes est loin de la guerre. C’est plutôt un message de paix et d’acceptation des différences qu’elles livrent dans leurs témoignages.

C’est ce visage beaucoup moins connu du Moyen-Orient que la réalisatrice d’origine kurde tente d’éclaircir dans son premier long métrage documentaire Gulîstan, terre de roses, en salle depuis le 20 janvier.

Durant ses études en cinéma, Zaynê Akyol a commencé à écrire une première version du documentaire, qui portait initialement sur le parcours de Gulîstan, sa « grande sœur », morte au combat en 2000.

Après avoir mené de maintes recherches, la cinéaste originaire de la Turquie met, pour la première fois de sa vie, les pieds au Kurdistan irakien en 2011. Elle y rencontre l’entourage de sa gardienne, trop vite disparue de sa vie. Toutefois, elle n’a pas été en mesure d’y rester bien longtemps, puisque la région était la cible de bombardements de l’Iran.

Changement de scénario

Ce n’est qu’en 2014 que Zaynê Akyol est retournée en sol kurde. Le climat était loin de s’être détendu, la guerre contre Daech (État islamique) venait d’éclater. Le documentaire qu’avait en tête la réalisatrice montréalaise n’était alors plus possible. Certaines femmes avec qui elle s’était entretenue plus tôt étaient mortes et d’autres étaient en zone de guerre.

C’est alors qu’elle s’est rattachée à l’histoire de Sozdar Cudî, qui deviendra l’une des protagonistes principales du long métrage. « À quelque part, ce sont un peu toutes des Gulistan. Elles ont toutes vécu la même chose, passé par le même parcours. Elles ont toutes la même envie de révolte, le goût de changer les choses », explique Zaynê Akyol.

Véritables journaux intimes

Dans ce documentaire de 86 minutes, la réalisatrice souhaitait laisser la place aux femmes. Sozdar, Rojen et plusieurs autres combattantes du PKK se confient donc tour à tour à la caméra afin de faire part de leur quotidien. Pour la réalisatrice kurde, il était clair, dès le début de ses démarches, que son premier long métrage ne ferait pas état des victimes de guerre.

« On voulait que les femmes possèdent l’écran plus que le territoire possède les femmes. Ce qui était important, c’était de montrer aux gens des femmes fortes, pas des femmes qui se plaignent. Elles font quelque chose pour que les choses changent », raconte la Montréalaise, maintenant âgée de 30 ans.

Durant le tournage, Zaynê Akyol a beaucoup appris sur sa communauté, elle qui avait de la difficulté à s’identifier à une culture qui lui semblait loin de ses convictions. Cette dernière était loin de se douter qu’elle véhiculerait un message comme celui-là.

« Au contact de ces femmes, j’ai grandi. Moi aussi j’avais des préjugés face à ma communauté d’origine. Pourtant, les discours les plus féministes que j’ai pu entendre viennent d’hommes moustachus à l’allure moyen-orientale. Ça m’a réconcilié avec mes racines », confie-t-elle.

En zone de guerre

À son arrivée dans la région du Kurdistan autonome irakien, la cinéaste a réalisé que le climat était très tendu. Les habitants s’apprêtaient à quitter la région. Daech venait tout juste de prendre une ville à 25 kilomètres de l’endroit. Ce n’est donc qu’après deux semaines d’attente que le groupe a été en mesure de se rendre dans les montagnes où se situe le campement de Sozdar et Rojen.

« Il fallait redoubler de vigilance, puisqu’il y avait des avions turcs qui surveillaient le territoire. La nuit, on ne devait pas faire de lumière », dit-elle. Elle devait faire preuve d’ingéniosité, puisqu’elle devait « faire des sauvegardes à la fin de chaque journée de tournage ».

« On devait être sous cinq ou six grosses couvertures pour être certains de n’émettre aucune lumière avec nos ordinateurs. Il faisait environ 45 degrés sous les couvertures avec les ordinateurs et les disques durs », relate Zaynê Akyol.

Un des moments les plus irréalistes a été, selon elle, celui où son équipe de tournage s’est rendue dans une zone minée par Saddam Hussein. Chaque pas était calculé et personne n’avait le droit à l’erreur.

Les deux mois qu’elle a passés dans cette zone de guerre n’ont pas été de tout repos. Toutefois, elle répète que ce n’est rien à côté des combattantes du PKK qui y passent leur vie.

Départ déchirant

Ce qui a été le plus difficile pour la Montréalaise, c’est de quitter ce groupe de femmes auquel elle s’était attachée. « On a passé deux mois avec elles. Il y a des liens forts qui se créent dans des moments difficiles comme ceux-là. On n’a pas de technologies, les relations sont plus profondes. Mais, nous devions les laisser partir au combat. On se demande toujours ce qui va se passer avec ces femmes-là », précise-t-elle.

Depuis le tournage, c’est près de la moitié des femmes que Zaynê Akyol a rencontré qui sont décédées. Elle a toutefois gardé contact avec Sozdar qui est établi à Makhmour, où elle enseigne.

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