Une enfance perdue

Nous sommes en 1996, en République démocratique du Congo. Le jeune Junior Nzita Nsuami, 12 ans, se dirige, fidèle à son habitude, en direction de son école. Malheureusement pour lui, il se fait surprendre par des soldats de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) qui le kidnappent et l’enrôlent de force dans leur troupe.

Vingt ans plus tard, en collaboration avec le comité Amnistie internationale de l’Université Laval, la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale pénale et les droits fondamentaux ainsi que le Centre interdisciplinaire de recherche sur l’Afrique et le Moyen-Orient, l’ancien enfant soldat présentera le 22 novembre prochain Enfants, pas soldats, une conférence qui se veut être un vibrant témoignage.

Désormais fondateur de l’organisation non gouvernementale Paix pour l’enfance et ambassadeur pour la prévention du recrutement des enfants soldats en République démocratique du Congo, l’Africain n’a pas vécu une enfance ordinaire. Alors que pour plusieurs personnes en Occident la problématique des enfants soldats est un phénomène lointain qui ne les touche guère et qu’on ne visualise seulement que dans quelques films, le cas de Junior Nzita est bel et bien réel et n’a rien d’un scénario glamour à saveur hollywoodienne.

Combattre ses semblables

Kidnappé très jeune par les soldats de l’AFDL, il est alors emmené de force au centre de formation de l’armée, véritable école de la violence. Rapidement, on lui enseigne le maniement des armes à feu dans l’ultime but de combattre le régime de Mobutu Sese Seko. « C’est à partir de ce moment que j’ai perdu la légitimité de mon enfance », explique aujourd’hui M. Nsuami.

Pendant quatre ans, il a fait la guerre à ses semblables. Complètement endoctrinés par les discours démagogiques des leaders, les enfants soldats ne sont pas en mesure d’analyser la situation et de comprendre la portée de leurs actes. Véritable lavage de cerveau. Ceux-ci ne cessent de se faire répéter que, s’ils ne font pas la guerre, c’est leur communauté et toute leur culture qui risquent de disparaitre. Il en découle donc, tout naturellement, la protection de leur région, de leur peuple et de ses ressources.

Très sensible à l’autorité des adultes, Junior Nzita Nsuami ne pose pas de questions et fait ce qu’on lui demande. Cela se traduit par des gestes criminels à main armée. « Les jeunes sont carrément utilisés au même titre que le serait un esclave, laissant chez lui un traumatisme bien profond », s’indigne-t-il aujourd’hui.

S’évader, se sauver, le jeune n’ose même pas y penser. Tout enfant pris à déserter est automatiquement emmené devant le peloton d’exécution composé de ses confrères. Pour illustrer ces dires, il raconte un épisode terrible où plus d’une centaine d’enfants sont kidnappés dans l’unique but d’en faire des exemples.

Réinsertion difficile

Néanmoins, à la suite de la victoire de l’AFDL et de l’élection du nouveau président Laurent-Désiré Kabila, Junior Nzita Nsuami réussit tant bien que mal à se sortir de ce cercle vicieux pour retourner sur les bancs d’école.

Il confie que sa réinsertion a été encore plus difficile que son recrutement dans les forces armées. Même s’ils ont la chance de s’en sortir, une fois de retour dans leur communauté, ces anciens enfants soldats, désormais adultes, sont considérés comme des bourreaux auxquels on reproche tous les torts. Ceux-ci sont alors abandonnés à leur propre sort, « considérés comme indésirables, et ce, dans toutes les sphères de la société », explique-t-il.

De confession chrétienne, M. Nsuami explique que la foi a grandement contribué à sa réhabilitation. De plus, il a eu la chance d’atterrir dans une famille d’accueil qui l’a traité comme « un enfant malade qui a besoin de beaucoup d’amour et non comme un ancien enfant soldat ». Cela lui a permis de vivre des moments de bonheur malgré l’épisode tragique qui a troublé son enfance.

Un fléau loin d’être enrayé

À ce jour, la situation des enfants soldats dans le monde est loin d’être réglée selon le Congolais. Alors qu’à l’époque on associait ce problème aux pays du tiers-monde, il dépasse aujourd’hui les simples frontières étatiques. Ce dernier prend alors une autre forme, en pointant l’Europe et la montée de la radicalisation des jeunes, qui partent vers le Moyen-Orient pour y faire le Djihad. D’autres, au contraire, n’ont tout simplement pas accès à une éducation convenable et voient en l’armée une solution attrayante.

Nsuami appelle donc la population mondiale à combattre ce système tout en dénonçant la forte responsabilité des pays dans le maintien de la paix. Selon lui, une volonté politique forte, une démocratie absolue qui tient en compte les droits de l’homme ainsi qu’un partage équitable des ressources et du pouvoir pourront venir à bout de cette problématique.


Ma vie d’enfant soldat relate la triste histoire de Junior Nzita Nsuami. Il est désormais en vente en librairie. Les profits serviront à soutenir les orphelins de guerre au travers de son organisme Paix pour l’enfance qui, à ce jour, est venu en aide à plus de 140 enfants.

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